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Notes de lecture 2017, Nouveautés

Note de lecture : « Petite histoire du spectacle industriel » (Patrick Bouvet)

L’histoire kaléidoscopique et poétique du divertissement triomphant à tous les étages

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dès l’entrée
le visiteur est saisi par la magie
du lieu
l’espace se démultiplie
grâce aux jeux de lumières et de miroirs
le visiteur peut avancer
au milieu des changements de décors
palais de cristal
monumental
champ de bataille
assourdissant
parc d’attractions
merveilleux

Depuis 1999 et son « In situ », Patrick Bouvet nous enchante régulièrement de ses sidérantes bouffées de poésie post-situationniste, capables de traquer à la fois minutieusement et lumineusement les dérives qui sont à l’œuvre depuis maintenant si longtemps dans les langages et dans les arts, dans les cœurs et dans les esprits, conquis à l’envi par ces forces malignes industrielles et divertissantes que recensait aussi sous une forme différente Hugues Jallon dans son dernier ouvrage en date. Politiques de la peur et de la guerre (« In situ », 1999, et « Shot », 2000), de la mode (« Canons », 2007), du cinéma à grand spectacle (« Pulsion lumière », 2012) ou de la musique rock starifiée (« Carte son », 2014) : il a su s’affirmer comme le véritable poète du storytelling triomphant, du divertissement de masse devenu roi, du medium ayant absorbé tranquillement le message, à grands coups d’écrans cathodiques, de stroboscopes et d’éléments de langage. D’une écriture peut-être encore plus soigneusement resserrée qu’à l’accoutumée, cette « Petite histoire du spectacle industriel » pourrait faire figure de synthèse récapitulative et explicative du phénomène, à date.

Marie sauvée
de la décapitation
grâce à son savoir-faire
pour pétrir la glaise et couler la cire
Marie employée
pour réaliser les masques mortuaires
de ses amis de la cour
et de tant d’autres victimes
de la machine révolutionnaire

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Le théâtre optique de Méliès au musée Grévin

En 170 pages, dans une démarche qui pourrait rappeler à certains égards celle d’Éric Vuillard dans « Tristesse de la terre – Une histoire de Buffalo Bill Cody », Patrick Bouvet organise, scande et tambourine la folle sarabande qui mène de la guillotine et des sculptures de cire de Mme Tussaud au divertissement généralisé et parfaitement industrialisé d’aujourd’hui.

le spectateur venait voir
le nouvel instrument à l’œuvre
le bourreau n’était plus que le serviteur
de la machine à décapiter
le condamné n’était plus qu’un prothèse
qu’il fallait implanter
pour aussitôt l’arracher

Rythmant son parcours historique d’associations inévitables comme de rapprochements d’abord surprenants, éclairant sous des jours nouveaux les pionniers volontaires et involontaires de cette sourde dévolution, Patrick Bouvet propose aussi une formidable incitation à la lecture des grands textes contemporains détaillant cette mécanique inexorable sous toutes ses facettes, y compris les plus inattendues, du Claro de « Livre XIX » et de « CosmoZ » au Bruce Bégout du « ParK », de la Katherine Dunn de « Amour monstre » au Christopher Priest du « Prestige », du Cory Doctorow de « Dans la dèche au Royaume Enchanté » au Patrick Imbert de « Week-end à Oswiecim », du Jean-Philippe Depotte du « Crâne parfait de Lucien Bel » à la Véronique Bergen de « Marilyn naissance année zéro », de l’Alban Lefranc de « Vous n’étiez pas là » au Tommaso Pincio des « Fleurs du karma », du Philippe Vasset d’ « Exemplaire de démonstration » à l’Ewen Chardronnet de « Mojave épiphanie », du Gustav Meyrink du « Golem » au Karel Capek de « R.U.R. ». Aucun aspect mythographique de cette dantesque course au spectacle ne semble pouvoir échapper à son monstrueux inventaire.

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Festival d’Altamont (1969)

il est au cœur d’une véritable machine à produire
des phénomènes
et il peut aller encore plus loin
il peut s’enfoncer
en lui-même
dans son propre esprit
palais de cristal
démesuré
champ de bataille silencieux

On croisera ainsi la guerre spectacle, les temps modernes chaplinesques, les dieux du stade reifenstahliens, les tables tournantes hugoliennes, les canards et les souris disneylandiennes, mais aussi le chemin de ronde de Woodstock et la sympathie pour le diable d’Altamont, sans aucun hasard, mais dans un agencement imparable des phénomènes, dans un enchaînement de causalités sans responsable mais aux effets toujours plus mécaniques, tourbillon de bruit et de fureur, mais aussi de murmure à l’oreille et d’œil hypnotique, qui peuvent être condensés et intensifiés dans un espace scénique aussi réduit en apparence que ce petit livre grâce à la brutalité choisie et à l’efficacité millimétrée des mots de Patrick Bouvet et de leur ajustement savant et charnel.

le visiteur n’en croit pas ses yeux
le monde nouveau a une architecture en trompe-l’œil
royaume-usine
parc-laboratoire
centre de détention enchanté
le monde nouveau prend
toutes les formes
tous les espaces
il est sans limites

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Bouvet.3

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À propos de Hugues

Un lecteur, un libraire, entre autres.

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