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Notes de lecture 2018, Nouveautés

Note de lecture : « Trip machine » (Patrick Bouvet)

Poésie des technologies du divertissement, des transformations numériques et des mutations programmées.

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Le combat des machines est si colossal que l’homme est bien près de s’effacer devant lui. Souvent déjà, pris dans les champs magnétiques de la bataille moderne, il m’a semblé étrange et à peine croyable que j’assiste à des événements de l’Histoire humaine. Le combat revêtait la forme d’un mécanisme gigantesque et sans vie, recouvrant l’étendue d’une vague de destruction impersonnelle et glacée. (Ernst Jünger, La Guerre comme expérience intérieure, 1922)

C’est par cet exergue digne au strict minimum des Chroniques de Sarah Connor que Patrick Bouvet entame, un an après sa « Petite histoire du spectacle industriel », une nouvelle étape de son exploration poétique de la marchandisation générale à l’œuvre depuis plusieurs dizaines d’années, dans différents domaines de nos rapports au réel et à l’imaginaire, allant de la percolation culturelle de la peur (« In situ », 1999) aux starifications avancées du cinéma (« Pulsion lumière », 2012) et du rock (« Carte son », 2014). « Trip Machine », paru chez L’Attente en octobre 2017, propose un angle plus oblique, en se concentrant sur l’appareillage technologique contemporain de nos corps et de nos cerveaux, depuis leurs prolongements apparemment si naturels jusqu’à leurs extensions en gadgets électroniques toujours plus innombrables et rapidement obsolètes. In Tech We Trust, sans doute. Le rapport de libération et d’aliénation simultanées que porte le progrès machinique est une constante de l’exploration fictionnelle de nos avenirs possibles, le déploiement de l’enquête à travers l’outil du langage poétique est beaucoup plus rare, et l’on doit saluer le prodigieux acharnement de Patrick Bouvet, capable d’aller voir de si près ce qui se dissimule sous le capot des mots volés – on songera certainement ici à la prose si particulière, si merveilleusement multivoque, du Claro de « Crash-test » , et à sa propre poésie, dans « Comment rester immobile quand on est en feu ? ».

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robot-domestique

il était dans une structure
datant du 19e siècle
il percevait le temps
et l’espace
autour de lui
mais personne ne songeait
à examiner en détail
cet assemblage
de poutres métalliques
rivets
verre
les gens se contentaient
de défiler
devant les vitrines
violemment éclairées
les gens se contentaient
de circuler
dans la structure
un flux continu d’anonymes
qui l’entraînait malgré lui
vers une autre devanture
où étaient exhibés
de nouveaux gadgets électroniques
aux couleurs flashy
(la magie opérait encore
sur la masse
malgré l’érosion du désir)

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andywar_brillo

Dans le prolongement subtil de ses travaux précédents, Patrick Bouvet, inscrivant la philosophie politique au cœur des slogans et des notices d’utilisation, associe étroitement les devenirs techniques de l’art et de la communication, ceux de la démocratie et de l’économie, pour nous offrir une dense sarabande à la fois songeuse et – mais oui ! – ludique, une danse inquiétante et rebelle dans laquelle virevoltent les prothèses techniciennes, les ajouts transhumains, les délégations mécaniques, ou encore les extensions divertissantes et industrielles. Et c’est ainsi que la poésie nous transforme.

Michael veut être
l’attraction
de son propre cirque
le plus grand freak
jamais vu
dans un show
et dans le business
mais le masque
travaille la chair

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Unknown

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À propos de Hugues

Un lecteur, un libraire, entre autres.

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