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Notes de lecture 2019, Nouveautés

Note de lecture : « Le livre du dedans » (Patrick Bouvet)

L’enfance aventureuse, par le pouvoir de l’imaginaire et de la lecture, d’une poésie critique contemporaine. Une exploration rétrospective magique et salutaire.

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le jeune garçon aime être
dans cette pièce
où les choses mijotent
baignent dans leur jus
se lient
se transforment
par le feu
et répandent dans l’air
une fumée odorante

le jeune garçon est là
sous la table de la cuisine
allongé sur le dos
sa tête reposant sur le flanc de l’animal
qui semble plongé dans un demi-sommeil
ils savent
l’un l’autre
qu’ils sont liés
pour toujours

c’est un animal magique
une créature aux pouvoirs secrets
insoupçonnés
(les parents n’en savent rien)
capable de choses extraordinaires
à cet instant il est
un chien-oreiller
d’où émane une chaleur bienveillante

le garçon n’est pas en train de dormir
ou de rêver
à cette place il est
le pilote d’un vaisseau
(bateau ou capsule
toutes les transformations sont possibles)
quelque chose qui le fait flotter
le transporte secrètement

les yeux clos
l’animal
oriente ses oreilles dans toutes les directions
et fait frémir sa truffe
il protège le garçon
le seconde
dans ces aventures
à cet instant il est
chien-veilleur
chien-radar

le livre
à bout de bras
au-dessus de son visage
comme ligne d’horizon
comme carte d’un territoire
à décrypter en temps réel
le garçon lit

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Il se produit mine de rien un phénomène potentiellement extraordinaire en ce mois de mai 2019, grâce à Patrick Bouvet et à ce « Livre du dedans » publié chez L’Olivier. Après avoir arpenté poétiquement, en un grand souffle continu, durant quinze ans, les méandres de ce qui nous ronge, du côté de l’information, du spectacle et de l’art, à l’heure où le capitalisme tardif achève de marchandiser ce qui pouvait l’être – politiques de la peur et de la guerre (« In situ », 1999, et « Shot », 2000), de la mode (« Canons », 2007), du cinéma à grand spectacle (« Pulsion lumière », 2012) ou de la musique rock starifiée (« Carte son », 2014) -, et après avoir dressé une magistrale synthèse de ce parcours nécessairement accidenté avec « Petite histoire du spectacle industriel » en 2017, il change soudain la longueur d’onde et le souffle propre de sa poésie pour nous offrir une formidable mise en cohérence, secrète, de l’ensemble.

C’est le moment qu’il choisit en effet pour venir parcourir l’intime de chacun, le moment où se crée l’imaginaire personnel, inattaquable et imputrescible, où se constitue justement l’esprit critique, bref, le moment hésitant entre l’enfance et l’adolescence où s’écrivent, principalement par la lecture mais pas uniquement, les premières pages de cet ancrage précieux entre tous, celui de notre histoire personnelle, réelle et nourrie d’imagination, notre livre du dedans, à chacune et chacun.

il a vu passer le mot
fantasmagorie
il n’en connaît pas la signification
mais il a aimé le lire
à bout de bras
au-dessus de son visage
il a aimé l’avoir comme ligne
d’horizon

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Sous les signes, poteaux indicateurs ou glyphes cabalistiques, de H.G. Wells, de Jules Verne, de Robert Louis Stevenson, de Mary Shelley, mais aussi de J.G. Ballard ou de William Burroughs, mais encore des journaux quotidiens sérieux et des hebdomadaires à sensation, il y a ici un grimoire à l’œuvre, produisant des effets insoupçonnés, peut-être le même grimoire, ou l’un de ses doubles, qui se laissait déchiffrer dans les compagnons pas si paradoxaux, donc, que seraient ici la note d’intention de l’édition Tristram de « L’île au trésor » de R.L. Stevenson, justement, ou, du même auteur, les si pénétrants « Essais sur l’art de la fiction », qui évoquaient sans doute déjà, à mots soigneusement couverts, ce « Livre du dedans ».

Il y a un aspect profondément, salutairement libérateur, à voir ainsi placé sous ces auspices, et sous l’exergue du Philip K. Dick du « Maître du Haut Château », le déchiffrement intime du bienveillant fantôme poétique et critique qui hante Patrick Bouvet avec un immense talent, et qui visite peut-être à l’occasion, on le souhaite de tout cœur en tout cas, même si c’est évidemment beaucoup plus modestement, chacune et chacun d’entre nous.

le garçon sent
qu’il a des pouvoirs magiques
enfouis en lui
des forces circulant
dans ce monde du dedans
attendant d’être activées
quand il se met à lire

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Bouvet

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À propos de Hugues

Un lecteur, un libraire, entre autres.

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