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Notes de lecture 2012

Note de lecture : « Madame Courage » (Serge Quadruppani)

Mafieux, salafistes, services corrompus et investisseurs pour la troisième enquête de Simona Tavianello.

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Publié à l’automne 2012, toujours au Masque, le troisième volet des enquêtes de la formidable commissaire italienne anti-mafia Simona Tavianello, créée en 2010 par Serge Quadruppani, débute par… sa démission, suite à une réprimande reçue lors de son interposition dans un maintien de l’ordre plus que musclé face à des opposants à la ligne TGV Lyon-Turin.

– Oui ? articula Simona Tavianello dans le combiné tandis que son Napolitain dépité s’asseyait au bord du lit, lui tournant le dos. Ah, bonjour, monsieur le procureur, dit-elle en reconnaissant la voix. Un tout petit instant, je vous prie.
Elle posa la paume sur le récepteur et, à mi-voix, dit : « Bianchi ». De l’autre main, elle montrait le socle du téléphone sur la table de nuit. Marco appuya sur le bouton connectant le haut-parleur, et elle s’assit sur les genoux de son homme, ce qui ne manqua pas d’entraîner le frottement d’une joue mâle par un sein fort doux.
– Oui, je vous écoute, monsieur le procureur, articula-t-elle ensuite.
– Commissaire, attaqua d’une voix solennelle le juge Bianchi, grand amateur de cigares puants et procureur de district de la direction antimafia, ce que je dois avant tout à notre longue collaboration et à vos immenses mérites professionnels, ce que nous vous devons… hum… allô ?
– Oui, oui, je suis là, dit Simona qui venait d’émettre un son étrange, mi grognement de réprobation, mi gloussement de plaisir parce que Marco, n’y tenant plus, avait pris un sein de sa femme dans la coupe d’une main. Je vous écoute, insista-t-elle en lui donnant une tape sur les doigts et Bianchi reprit :
– Je disais… bon, oui… Soyons direct : je viens de discuter longuement de votre cas avec le dottore Prontino, et malheureusement, nous sommes parvenus à la même conclusion… – Vous me retirez l’enquête, dit Simona en tapant sur l’autre main de Marco, qui tentait une approche vers la deuxième sphère.

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L’occasion rêvée pour elle d’un séjour à Paris en compagnie de son procureur général (à la retraite) de mari, et l’occasion aussi de se retrouver mêlée, comme par inadvertance, à un écheveau de sombres machinations dans lesquelles se croisent mafieux « ordinaires », politiciens en mal de soutiens économiques dans la crise, investisseurs qataris, réseaux salafistes, officiers du renseignement algérien aux doubles ou triples casquettes, enquêteurs quelque peu dévoyés de la DCRI, ou victimes potentielles de « dommages collatéraux » au pays de l’anti-terrorisme triomphant.

– Ça va te faire drôle que je te dise ça, avait attaqué Marco au moment où la serveuse repartait vers la table voisine avec le plat de semoule, mais je trouve que tu n’as peut-être pas choisi le meilleur moment pour démissionner… Ne me regarde pas comme ça, tu sais bien que je suis content que tu aies arrêté de travailler, et la haute police étant désormais ce que nous savons, ça fait un moment que je te pousse à prendre une retraite anticipée… mais ce qui se maintenant est très grave. Avec le gouvernement technique, les Siciliens sont en train de reprendre le pouvoir.
Et, pour donner plus de force à son propos, il s’apprêta à égrener des noms qu’elle connaissait, ceux de Siciliens récemment nommés à des postes clés du pouvoir judiciaire et policier italien, nominations qui, selon lui, prouvaient le retour massif dans l’appareil d’État d’une mafia disparue des écrans mais qui avait, confrontée à la répression, choisi la discrétion en se repliant sur le territoire d’un côté et en s’installant dans les circuits financiers internationaux de l’autre, cette mafia qui a donné son nom à toutes les autres, notre chose sicilienne. Mais sa démonstration fut empêchée par un cri d’horreur de la serveuse auquel succéda son évanouissement.

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L’occasion pour Serge Quadruppani, après les jalons posés lors de « Saturne » et de « La disparition soudaine des ouvrières », de poursuivre le croisement de ces fils criminels, qui mènent insidieusement du droit commun à la politique et à l’économie, grâce à la merveilleuse machine de l’anti-terrorisme, superbement analysée par ailleurs dans son essai, « La politique de la peur », en utilisant ce biais « italien », fruit crédible d’une fréquentation assidue des auteurs transalpins qu’il traduit, d’Andrea Camilleri à Carlo Lucarelli, en passant par Valerio Evangelisti ou les Wu Ming.

Une noirceur confirmée au fil des ouvrages, avec toujours ces touches d’humour, de grâce et de légèreté fournies par Simona Tavianello, plus rusée et bonne vivante que jamais.

Ce qui se passa ensuite dans la chambre fut assez tumultueux, serein, bouleversant, brutal, suave, pour qu’à l’instant où il payait le taxi, en revenant du restaurant du Marais quitté en toute hâte, Francesco soit distrait par ses souvenirs au point de dire « merci madame » au quinquagénaire vietnamien qui se trouvait derrière le volant. Mais comme ce dernier suivait sur RTL une émission de rigolade, on resta sur le terrain rassurant de l’autisme généralisé et chacun s’en fut vers son destin, le taxi démarrant en souplesse pour aller prendre quelques mètres plus loin un monsieur bien mis qui agitait les bras sous la pluie obstinée, tandis que Francesco passait une main en forme de peigne dans ses cheveux humides de sorte que, pour la première fois depuis le début de cette histoire, il eut l’air coiffé avant d’entrer dans le consulat italien, où il serra la main du garde de permanence qu’il avait prévenu par téléphone.

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À propos de Hugues

Un lecteur, un libraire, entre autres.

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