Une lettre ouverte, poignante d’intelligence, aux combattants de l’État Islamique.
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Publié en mai 2016 aux éditions sun/sun (qui proposent désormais la fort stimulante revue « Le chant du monstre », depuis le n°4, prenant le relais des n°1, n°2 et n°3 publiés par les éditions Intervalles), ce très court texte de Pierre Terzian (dont j’avais adoré il y a quelque temps le « Crevasse », publié chez Quidam, et découvert grâce… au Chant du Monstre !) est une lettre ouverte poétique.
La particularité de cette lettre, qui lui vaudra peut-être quelques réactions d’incompréhension outragée, est son destinataire : les adeptes de l’État Islamique, avec lesquels, depuis le lendemain des terribles attentats parisiens de novembre 2015, « nous » serions désormais officiellement « en guerre ».
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Messieurs,
Ce Vendredi 13, vous m’avez touché en plein coeur.
Je ne m’attendais pas à souffrir autant.
Je ne me savais pas capable de souffrir autant.
Je suis un homme.
J’ai 36 ans.
je suis né aux Lilas, en France, près de Paris.
J’ai grandi à Issy-les-Moulineaux.
Une banlieue paisible, où la classe moyenne prolifère.
Quand j’étais mon meilleur ami s’appelait Karim.
Je vis aujourd’hui à Montréal.
Je suis marié à une femme de 44 ans.
Elle a un fils de 7 ans.
Je suis écrivain.
Et prof de théâtre.
J’aime le rock.
J’aime rouler en voiture.
J’aime la forêt québecoise, où j’ai construit une cabane.
J’aime manger.
J’aime regarder des films avec ma femme.
Je suis un gars simple.
Un Occidental.
Un homme impur.
Capable de souffrir.
Je souffrais beaucoup, en temps normal,
avant tout ça, mais pour des choses bénignes.
La souffrance était diluée.
Je ne me confrontais pas directement à elle.
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Cette lettre ouverte est poignante, forte de son intelligence, de sa lucidité et de son humilité. Confrontant la simplicité hésitante d’une vie d’Occidental « normal » au fanatisme « radicalisé » des tenants avoués de la guerre aux Croisés et autres contempteurs de l’Islam, Pierre Terzian, en se mettant cruellement à nu, dans son absence même de certitudes, ouvre une fenêtre qui n’est pas celle d’un dialogue véritable, bien entendu, mais celle d’une adresse qui, en affectant de viser l’autre, cherche bien soi-même, tentant de comprendre en nous ce qui crée et anime celui qui désire tant se faire appeler notre ennemi.
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Dans les films de cowboys (une grande part de notre amour-propre nous vient des films de cowboys), quelqu’un tire en l’air et tout le bétail se met à cavaler.
Immaîtrisable.
Aveuglé par sa panique unanime.
Le cowboy crie « Stampede ! » pour rameuter ses pairs et tenter de rattraper le troupeau.
Le guider.
Vers un cul-de-sac.
Où la panique diminue.
Où l’amnésie animale, la résilience des boeufs opère.
Un retour à la normale.
Aimez-vous les films de cowboys ?
Ici, nous sommes tous actuellement à la fois le bétail et le cowboy.
Nous paniquons et tentons de calmer nos paniqués.
Nous cherchons notre cul-de-sac adoré.
L’impasse géopolitique.
L’engourdissement.
D’où nous consultions le catalogue Ikea.
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(…)
Depuis ce Vendredi 13, c’en est devenu terrifiant.
Tout le monde professe.
Nous entendez-vous ?
Vous contemplez-vous sur nos écrans ?
Nos forums ?
Nos moteurs de recherche ?
Je crains que oui.
Il paraît que vous mangez des hamburgers.
Que vous tweetez compulsivement.
Que vous êtes les rois de l’image.
Les Fils de la Mondialisation.
Si vous passez autant de temps qu’on le dit à surveiller
où nous en sommes à propos de vous,
vous devez l’avoir remarqué :
ici, les porcs ont repris la parole.
Ils se servent des morts.
De la fréquences des catastrophes.
Ils brassent du vent mauvais.
Remplissent les urnes de crottin chaud.
Chaque matin, les porcs donnent leur avis sur le voile.
Les ceintures d’explosifs.
Les bateaux de migrants.
C’est ce que vous vouliez ?
C’est ce qui était prévu ?
Nous plonger dans l’ignorance obscène ?
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La litanie poétique de Pierre Terzian se dérobera résolument, et ce n’est pas la moindre de ses vertus, à toute tentative d’analyse simpliste, précisément, à toute volonté d’assignation, en pour et contre, en ami et ennemi, en fier et en honteux, en compréhension analytique et en détestation instinctive. Le mouvement martial du menton qui sert de baume protecteur à tant de politiciens ces jours-ci n’est pas de mise ici, et l’interrogation seule demeure, sur l’éventuel champ de ruines de notre propre civilisation matérielle. Et l’essentiel est bien là : une tentative poétique incisive pour redonner leur sens aux mots que la bouillie médiatique et politique contemporaine vide toujours davantage de leurs sens, un questionnement urgent qui, feignant de prendre l’autre à témoin, nous force à nous demander, vraiment, quel est notre usage du monde.
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Nos espaces sont neutralisés.
Se neutralisent eux-mêmes par la profusion des dires.
Nous rêvons un rêve concret.
Hors pixel.
Mais pas d’espace pour l’animer.
Nous sommes comme vous.
Orphelins du sens de la vie.
Mus par des énergies fossiles.
Nous ne voulons pas être vous.
Mais nous ne voulons pas être nous.
Nous nous contestons.
Nous détestons.
Le saviez-vous ?
Vous détestez-vous également ?
Parfois ?
Vous arrive-t-il de vous détester ?
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Discussion
Rétroliens/Pings
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