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Notes de lecture 2017, Nouveautés

Note de lecture : « Ici-bas » (Stéphane Monnot & Robert Żytyński)

Chanter la vérité ou la légende ? Et mettre discrètement le statut du western dans la balance.

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On connaît Stéphane Monnot pour ses nouvelles, qu’elles se glissent dans les anthologies collectives des éditions Antidata (comme la superbe « La linéarité affublée du masque grotesque de la relative jeunesse », dans le tout récent « Petit ailleurs » consacré au thème de la cabane), ou qu’elles forment recueil à part entière (« Noche triste », 2012). J’étais donc particulièrement curieux de le lire sur un format plus long, celui de cette novella parue en novembre 2017 chez Zinc Éditions, richement et habilement illustrée par l’artiste d’origine polonaise Robert Żytiński, et ce d’autant plus que le thème avoué d’emblée de cet « Ici-bas » était celui du western.

Pour l’heure, il se laisse bercer par ma dernière composition. Celle-ci raconte comment une nouvelle fois ivre mort, à Saint-Petersburg, Missouri, il est tombé d’un quai dans le fleuve Mississippi et a dû escalader l’énorme roue à aubes d’un vapeur pour ne pas se noyer. Je compare l’anecdote pathétique à l’épisode homérique d’Ulysse contre Polyphème. Il en va de même pour toutes mes chansons ou presque, retranscriptions de notre quotidien sordide en récits vaguement mythologiques, qui, au fil du temps, commencent à circuler et, aussi incroyable que cela puisse paraître, à lui conférer une aura légendaire imméritée à mille lieues de la réalité.
Il n’est ni le premier ni le dernier usurpateur du Grand Ouest.

L’auteur ne dévoile certes pas immédiatement ses batteries. Il nous laisse d’abord accompagner presque paisiblement ces deux personnages un peu particuliers, déjà gentiment vieillissants, l’un légende vivante de la guerre de Sécession (durant laquelle il se fit un ennemi éternel et juré en la personne d’un certain colonel Doolittle qu’il priva d’un de ses bras), l’autre chantre attitré et mystérieux, se chargeant d’inventer en chansons la légende au fur et à mesure que ses péripéties se produisent et appellent amélioration.

Le détour nous fait perdre une semaine. Nous ne sommes pas pressés et prenons un certain plaisir à dériver au hasard, cherchant la bonne vallée ou le bon col, pour rallier le village. Même si aucun de nous deux ne le met en mots, il est clair que ce voyage sera le dernier, qu’une fois marié à Lune-Rousse, Crackity Jones posera ses bagages, tandis que moi, Paco Picopiedra, je reprendrai la route quoi qu’elle me réserve. Nous profitons, déjà nostalgiques, des vestiges de notre folle jeunesse et de notre liberté commune. Du numéro de clown triste et d’Auguste que nous formons depuis si longtemps à la scène comme à la ville.
Mon compère marmonne au sujet de cette crevure de Lemmy Doolittle. Il a tant raconté l’histoire de leur corps-à-corps que j’en connais chaque pas, chaque coup et chaque botte. C’est, dans mon esprit, un ballet digne de d’Artagnan et ses mousquetaires. Il n’arrive pas à concevoir que celui qui a juré sa mort à Gettysburg ne soit dans les parages qu’au hasard d’une directive du président et de ses larbins visant à exproprier de pauvres gens des terres qu’ils occupent depuis des milliers d’années. Ces mêmes types qui luttaient il y a vingt ans pour la liberté et l’abolitionnisme ont vite remisé leurs idéaux à la cave.

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Dans les interstices de réinterprétation et de réécriture laissés libres par Céline Minard et son « Faillir être flingué » (2013), par Patrick DeWitt et ses « Frères Sisters » (2011), par Mika Biermann et son « Booming » (2015), voire par Albert Sánchez Piñol et son « Pandore au Congo » de 2005 (car l’Afrique coloniale, sous certaines conditions de température et de pression, se fait volontiers terre littéraire de western), Stéphane Monnot mobilise en un joli mélange de finesse et de gouaille l’ours, l’Indien et le « encore plus autre » pour questionner le lien instable entre l’homme et la nature, entre l’homme et ses semblables (ou presque), et pour provoquer l’oscillation du fantastique et de la science-fiction sur la frontière ouest,  sous le signe de Dorothy M. Johnson et, déjà, de son « L’homme qui tua Liberty Valance », en invitation ambiguë à imprimer (ou chanter) la légende plutôt que le fait, le cas échéant. Sans oublier le clin d’œil à l’ami Stéphane Le Carre.

Les deux hommes se font face à une quarantaine de pieds l’un de l’autre. Leurs deux armées, tapies, l’une à la lisière de la forêt, l’autre à l’abri des toiles de tentes, sont prêtes à bondir. Jones jette le membre desséché qui décrit une lente parabole et vient atterrir dans un bruit sec approximativement au milieu d’un segment dont les deux protagonistes seraient les extrémités. Dans un duel, il est beaucoup question de mathématiques. Position du soleil, force du vent, vitesses respectives des balles, poids des calibres et soyons fou… pression atmosphérique. Plus prosaïquement, dextérité et quantité d’alcool absorbée la veille et/ou le jour même par les tireurs. Tout ça forme une équation à inconnues multiples dont le résultat donne le nom de celui qui, à pleines dents, mordra la poussière.

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