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Notes de lecture 2017

Note de lecture : « Soleil de nuit » (Jo Nesbø)

En cavale au Finnmark pour échapper aux foudres du Pêcheur : un bref roman très différent des Harry Hole de l’auteur

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Sur le bas-côté, les branches d’un bosquet remuèrent. L’instant suivant, quelqu’un franchissait d’un bond le fossé pour atterrir sur la route. Ma main eut le réflexe de s’emparer du pistolet, mais je l’arrêtai, ce n’était pas l’un d’eux. Ce type avait l’air d’un joker tout droit sorti de son jeu de cartes.
« Bonsoir ! » me lança-t-il.
Il se dirigea vers moi dans un singulier dandinement, les jambes arquées au point que je voyais la route derrière lui entre ses genoux. Quand il approcha, je m’aperçus toutefois que ce n’était pas la coiffe d’un bouffon qu’il avait sur la tête, mais un bonnet same. Bleu, rouge, jaune, ne manquaient que les grelots. Il portait des bottes en peau claire et son anorak était parsemé de bouts d’adhésif noir et de déchirures d’où s’échappait un contenu marronnasse évoquant davantage la ouate d’isolation que les plumes.
« Je vous prie de m’excuser de vous poser la question, mais qui êtes-vous donc ? »
Il mesurait au moins deux têtes de moins que moi. Son visage était large, son sourire ample et ses yeux légèrement bridés, comme ceux d’un Asiatique. En superposant toutes les préconceptions que les gens d’Oslo ont des Sames, on aurait obtenu ce gars-là.

Jon Hansen est en cavale : collecteur de dettes pour le redoutable Pêcheur, boss de la drogue et de la prostitution à Oslo, il a étouffé l’argent qu’il devait récupérer, et pris la fuite vers le Finnmark, le grand Nord du pays, où pêcheurs, éleveurs de rennes, sames et prédicateurs chrétiens fondamentalistes dessinent un univers résolument différent du reste de la Norvège. Parviendra-t-il à échapper à la vengeance du malfrat lésé ? Peut-on vraiment se cacher dans le grand Nord ?

Knut marchait en silence, avec une mine combative obstinée, son visage constellé de taches de son. Les nuages de moustiques s’étaient rapprochés pour ne former qu’une grande nuée dont nous ne sortions pas. J’avais cessé de les écraser quand ils se posaient sur moi. Ils pénétraient ma peau avec trompe et anesthésiant, et l’opération était suffisamment douce pour que je les laisse faire. Ce qui comptait désormais, c’était d’interposer des kilomètres entre la civilisation et moi. Mais j’allais tout de même devoir échafauder un plan sans trop tarder.
Le Pêcheur trouve toujours ce qu’il cherche.
Mon plan jusqu’à présent avait été de ne pas en avoir, puisqu’il anticiperait toute stratégie logique que je pourrais élaborer. Ma seule chance était l’arbitraire. Être si imprévisible que je ne savais pas moi-même quel serait mon prochain coup. Mais ensuite, il me faudrait inventer quelque chose. Si « ensuite » il y avait.

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Publié en 2015 quelques mois après « Du sang sur la glace » (auquel il se rattache par la présence du redoutable « Pêcheur » à l’arrière-plan), traduit en français en 2016 par Céline Romand-Monnier à la Série Noire de Gallimard, « Soleil de nuit » est l’un de ces courts romans policiers auxquels Jo Nesbø se consacre désormais, semble-t-il, entre deux livraisons de sa série principale, celle de l’inspecteur Harry Hole de la brigade criminelle d’Oslo, en l’espèce ici entre l’écriture du tome 10, « Police », et celle du tome 11, « La soif ». D’une tonalité complètement différente, maniant un curieux mélange d’humour noir, de farce et d’hommage au hard-boiled américain de l’âge classique, « Soleil de nuit » propose aussi une étonnante exploration de l’imaginaire des latitudes extrêmes norvégiennes, tel qu’il se reflète dans la connaissance que peuvent en avoir les habitants des grandes villes du Sud, et d’Oslo au premier chef (on se souviendra à ce propos de la manière dont Frédéric Jaccaud avait su exploiter le référentiel constitué par la ville de Tromsø dans son « La nuit »). Habile et enlevé, ce roman de 200 pages déroutera peut-être la lectrice ou le lecteur habitués aux longs et puissants scénarios tissés pour Harry Hole, mais doit pourtant se laisser apprécier comme un bonheur simple, efficace et curieusement troublant.

Je continuai de respirer, sentis mon pouls s’apaiser. Mon corps avait compris ce que ma tête n’avait pas encore conclu : si c’était l’un d’eux, il ne m’aurait pas tapoté légèrement, mais se serait contenté de retirer l’aube pour établir que j’étais bien la bonne personne, avant de me poivrer comme une potée de chou au mouton faisandé.

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À propos de Hugues

Un lecteur, un libraire, entre autres.

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