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Notes de lecture 2017, Nouveautés

Note de lecture : « La soif » – Harry Hole 11 (Jo Nesbø)

Harry Hole, 11ème saison : machiavélique à souhait, rusé et intense. Et pas vraiment de fatigue en vue, ici.

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Quatre ans… Il a fallu attendre presque quatre ans pour retrouver Harry Hole que nous avions laissé, une fois n’est guère coutume, dans une situation presque, mais oui, …sereine, à l’issue de « Police », le dixième épisode de cette saga policière norvégienne initiée par Jo Nesbø en 1997 avec « L’homme chauve-souris ». Onzième volume, « La soif » a été publié en 2017, et traduit presque instantanément (publication ici en octobre 2017) à la Série Noire de Gallimard par une nouvelle venue, Céline Romand-Monnier, qui succède donc à Alain Gnaedig (« Police », n°10), à Paul Dott (« Fantôme », n°9) et à Alex Fouillet (« Le léopard », n°8), sans que l’on sache exactement à quoi est due cette valse de traductrices et traducteurs – le travail en français restant depuis longtemps sans reproches notables dans cette série.

Il fixait le néant blanc.
Comme il le faisait depuis trois ans.
Personne ne le voyait et il ne voyait personne. À part chaque fois que la porte s’ouvrait et  aspirait suffisamment de vapeur pour lui permettre de distinguer un homme nu, l’espace d’une seconde, avant qu’elle se rabatte et que tout se nimbe de brouillard.
Les bains allaient bientôt fermer. Il était seul.
Il resserra le peignoir en éponge autour de sa taille, se leva de la banquette, sortit, passa devant le bassin vide, gagna les vestiaires.
Pas d’eau coulant dans les douches, pas de conversations en turc, pas de pieds nus sur les carreaux du sol. Il se contempla dans le miroir, passa un doigt le long de la cicatrice de sa dernière opération, qui était encore visible. Il avait mis du temps à s’habituer à son nouveau visage. Son doigt poursuivit sur le cou, la poitrine, s’arrêta à la naissance du tatouage.
Il ouvrit le cadenas de son casier, enfila son pantalon, passa sa veste par-dessus son peignoir encore humide, laça ses chaussures. Il s’assura une dernière fois qu’il était seul avant de rejoindre le casier dont le cadenas à chiffres avait une tache de peinture bleue. Il composa 0999 à l’aide des molettes, décrocha le cadenas et ouvrit le casier. Il admira une seconde l’imposant revolver qui se trouvait à l’intérieur avant d’en saisir la crosse rouge et de l’enfoncer dans la poche de sa veste. Puis il prit l’enveloppe et la décacheta. Une clef. Une adresse et des renseignements plus détaillés.
Le casier contenait encore un objet.
Peint en noir, fait de fer.
Il le leva d’une main à la lumière, examina la ferronnerie avec précaution.
Il allait devoir le laver, le récurer, mais il sentait déjà son exaltation à l’idée d’en faire usage.
Trois ans. Trois ans dans le néant blanc, dans un désert de jours vides de contenu.
Il était temps. Il était temps de boire la vie.
Temps de revenir.

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Il est bien entendu hors de question de raconter un roman de Jo Nesbø : l’auteur met trop de soin réel à concevoir ses redoutables hybrides de police procedural (focalisé sur la méthodologie de l’enquête, les interactions entre enquêteurs au sein du commissariat, les jeux politiques éventuels de l’arrière-plan) et de whodunnit (les monologues intérieurs non probants des coupables potentiels, les fausses pistes, les moments indécidables) pour priver la lectrice ou le lecteur du moindre plaisir de cette découverte. La technique de l’auteur est impeccable, et s’est même raffinée au fil des onze volumes de Harry Hole (là où celle d’un Michael Connelly par exemple, initialement comparable voire supérieure, s’est plutôt ratatinée dans la répétition, hélas, au fil des années) : on notera tout particulièrement sa manière de plus en plus efficace de présenter à la lectrice ou au lecteur plusieurs personnages louches, dont les divers agissements ou pensées qu’il nous présente en exclusivité contribuent si bien à brouiller décisivement les intuitions que nous pourrions d’abord développer.

Allongé sur son lit dans l’appartement, il lisait sur son téléphone. Il avait parcouru tous les journaux. C’était décevant, ils avaient omis tous les détails, ils s’étaient abstenus de rapporter tout ce qui avait une valeur artistique. Soit parce que cette directrice d’enquête, Katrine Bratt, n’avait pas voulu le leur donner, ou alors parce qu’elle n’était tout bonnement pas apte à en voir la beauté. Mais lui, le policier au regard assassin, l’aurait vu. Il l’aurait peut-être, comme Bratt, gardé pour lui, mais il aurait en tout cas su l’apprécier.
Il examina la photo de Katrine Bratt dans le journal.
Elle était belle.
Le port de l’uniforme de police n’était-il pas obligatoire en conférence de presse ? Peut-être était-il simplement conseillé. Auquel cas, elle ne s’y pliait pas, s’en foutait. Elle lui plaisait. Il l’imaginait en uniforme.
Très belle.
Malheureusement, elle n’était pas à l’ordre du jour.
Il reposa son téléphone. Passa la main sur son tatouage. Il avait parfois le sentiment qu’il était réel, qu’il forçait le passage, que la peau de son torse se tendait et était près de se déchirer.
Lui aussi voulait s’en foutre.
Il contracta ses abdominaux et se leva de son lit sans s’aider de ses bras. Il se regarda dans le miroir de la porte coulissante de la penderie. Il avait fait de la muscu en prison. Pas dans la salle de sport, il était hors de question qu’il s’allonge sur des bancs et des tapis de sol baignés de la sueur des autres. Mais dans sa cellule. Pas pour faire de la gonflette, mais pour acquérir une force véritable. De l’endurance. Du tonus. De l’équilibre. De la résistance à la douleur.

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Comme à l’accoutumée, les portraits des différents psychopathes, plus ou moins discrets, voire secrets, qui hantent le roman, comme ceux de leurs traqueuses ou traqueurs aux idiosyncrasies parfois également vertigineuses, sont particulièrement soignés, et jamais purement décoratifs. Le bonus auquel je suis toujours particulièrement sensible, c’est la belle maîtrise qu’a l’auteur du rock indie (correspondant à son autre vie), et la manière élégante qu’il a d’introduire certaines mentions ou allusions, sans les plaquer en force comme trop de ses consœurs ou confrères. Et dans le bouillonnement des passions et des avidités jamais rassasiées, de toutes natures, il s’esquisse dans ce onzième volume une solidité du miracle que l’on n’osait trop espérer pour le héros ambigu qu’est Harry Hole : comme Sisyphe, faut-il donc l’imaginer heureux ? Et c’est ainsi que se poursuit l’une des meilleures séries policières à succès de ces dernières années, avec bien davantage de conviction que la plupart des autres.

Et puis il y avait le cinquième réveil. Qui était nouveau pour Harry Hole. Le réveil satisfait. Au début, sidéré qu’il soit possible d’ouvrir les yeux heureux, Harry passait automatiquement en revue tous les paramètres, les constituants de ce stupide « bonheur », en se demandant s’ils n’étaient pas simplement l’écho d’un rêve idiot et délicieux. Mais cette nuit, il n’avait pas fait de rêves délicieux et l’écho du cri était venu du démon, le visage sur sa rétine était celui du meurtrier qui lui avait échappé. Et pourtant, il s’était réveillé heureux, non ? Si. Comme cela se répétait matin après matin, il avait commencé à se faire à l’idée qu’il était effectivement un homme plutôt comblé, qui avait trouvé le bonheur à la fin de la quarantaine et semblait pour l’instant réussir à s’accrocher à cette terre récemment conquise.
La raison principale de ce bonheur reposait à moins d’un bras de distance et avait une respiration tranquille et régulière. Ses cheveux se répandaient sur l’oreiller comme les rayons d’un soleil de jais.

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À propos de Hugues

Un lecteur, un libraire, entre autres.

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