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Notes de lecture 2017

Note de lecture : « La montagne morte de la vie » (Michel Bernanos)

Une remarquable fable fantastique intemporelle, légèrement décevante toutefois par rapport à son statut culte.

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Je venais tout juste d’atteindre mes dix-huit ans, lorsqu’un soir, après boire, la main d’un ami guida la mienne pour signer un engagement d’une année sur un galion.
Mes souvenirs relatifs à ce qui devait être le départ d’une aventure effroyable sont très vagues, pour ne pas dire nuls. En fait, je ne repris vraiment contact avec la réalité que le lendemain matin. Ma surprise fut grande, alors, de me retrouver couché de tout mon long sur la dure, accueilli par le bleu du ciel profond. J’aperçus ensuite des voiles que gonflait doucement un vent léger, puis les petites taches blanches de la mer en mouvement se multipliant jusqu’au bout de l’horizon. Au comble de l’étonnement, je regardai autour de moi, quantité de cordages s’y trouvaient lovés, des cordages pareils à ceux que j’avais vus si souvent sur les ponts des navires en escale. Une forte odeur de goudron planait par-dessus le tout.

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Écrit en 1963, publié en 1967 à titre posthume après le suicide de l’auteur en 1964, ce roman du deuxième fils de Georges Bernanos, qui eut à lutter une partie de sa vie pour se faire un nom littéraire qui ne soit pas seulement celui de son père, débute comme un roman maritime assez classique, moins mystérieux sans doute que l’incroyable « Le navire de bois » de Hans Henny Jahnn, moins analytique que la belle reconstitution de Sylvain Pattieu, « Et que celui qui a soif, vienne », et tout compte fait assez proche de l’entrée en matière du chef d’œuvre de Juan José Saer, « L’ancêtre ». Aussi spectaculaires que soient les scènes d’horreur à bord du galion pris dans le pot-au-noir, elles ne sont en effet sans doute pas l’objet central du roman poétique halluciné de Michel Bernanos. C’est bien du côté des « Aventures de Gordon Pym » d’Edgar Allan Poe, comme cela a été noté par de nombreux commentateurs, qu’il faut chercher la filiation la plus directe, et la bascule dans le tourbillon ouvrant vers tout autre chose.

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Je m’étais endormi, comme il m’arrivait souvent, sans m’en rendre compte, et il me semblait entendre Toine frapper du pied à mes côtés et grincer des dents d’impatience, sans doute parce que je ne m’éveillais pas assez vite à son gré. Mi-furieux, je me soulevai enfin sur un coude et grognai :
– Ça va, ça va, je me lève.
Mais ma colère s’évanouit lorsque je vis Toine, ou plutôt son ombre, se pencher sur moi en chuchotant :
– Tais-toi, petit, et regarde !
L’intonation qu’il employa – celle qu’on ne trouve que pour les belles choses qui vous intimident – me fit plus d’effet qu’un coup de pied lancé dans mes reins, car ce n’était pas précisément le genre de Toine de se pâmer d’admiration devant quoi que ce soit. Je me mis donc debout, chuchotant à mon tour :
– Qu’est-ce qu’il y a ?
En même temps, je fixai mon regard droit devant moi. Ne voyant que la forêt sous la couleur argentée de l’aurore blême, je me retournai vers Toine :
– Ben quoi, ce n’est que le jour qui se lève !
– En pleine nuit ? Tu as déjà vu, toi, petit, le jour se lever la nuit ? En plus, dans cet endroit où y a jamais de lune ? Et puis tu sais bien que le jour, ici, est rouge !
C’était vrai, comment avais-je pu l’oublier ! Mais alors, qu’allait-il encore se passer ? Je sentis mon sang se glacer lorsque le bruit que j’avais pris dans mon sommeil pour Toine frappant du pied avec colère se fit de nouveau entendre. Je m’accrochai au bras de mon compagnon.
– Vous entendez ? fis-je à voix basse.
– Oui, petit, me répondit-il d’un ton étrangement calme. On dirait qu’un cœur de géant bat sous nos pieds.

Alors que les deux héros découvrent la réalité rigoureusement incompréhensible de l’île sur laquelle ils ont échoué, Michel Bernanos excelle à nous faire partager l’altérité radicale des lieux, et la désorientation profonde qui cède lentement la place à l’horreur potentiellement indicible. Le mot n’est pas neutre : on sent bien ici les présences fantomatiques d’Abraham Merritt et de H.P. Lovecraft, au confluent de l’aventure et de la terreur – mais quarante ans après eux… Toutefois, l’écriture flamboyante s’oriente le plus souvent vers le dire trop que vers le dire trop peu, pour paraphraser Judith Schlanger (dont la partie de son « Trop dire ou trop peu » qui concerne le genre fantastique est particulièrement captivante), et l’emphase qui envahit peu à peu le récit ne permet peut-être pas à l’effet glaçant de se déployer pleinement. C’est peut-être pour cela que, comme Nébal par exemple (dont la chronique peut se lire ici), je suis resté quelque peu sur ma faim face à ces 120 pages devenues objets de culte au fil des années, même enrichies – dans la belle édition récente de L’Arbre Vengeur – d’une préface très combattante de Juan Asensio, d’une postface étonnante de Dominique de Roux, et d’une nouvelle supplémentaire se rattachant au même cycle fantastique que « La montagne morte de la vie », « Ils ont déchiré Son image ».

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