Le septième « journal » d’Éric Chevillard : pure jouissance de l’émotion, de l’esprit et du langage.
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Publié en 2015 chez l’Arbre Vengeur, « L’autofictif au petit pois » est le septième des « journaux » entamés par Éric Chevillard en 2009, celui-ci étant consacré à l’année s’étendant du 18 septembre 2013 au 17 septembre 2014.
Adepte de relativement longue date de l’humour si particulier, du sens du paradoxe instantané, de la verve et de l’inventivité langagière d’Éric Chevillard – je tiens notamment « Palafox » et « Le vaillant petit tailleur », entre autres, pour d’authentiques chefs d’œuvre, et me suis longuement délecté également des « Absences du capitaine Cook », du « Caoutchouc décidément », du « Désordre azerty », d’ « Oreille rouge » ou encore de « Chiens écrasés » -, je ne m’étais pourtant pas lancé, jusqu’ici, dans l’impressionnant cycle de « journaux » que constitue « L’autofictif », fonctionnant depuis sept ans sur le même principe : chaque jour, trois très courts paragraphes, remarques apparemment incidentes, constats amusés ou mi-figue mi-raisin, aphorismes, observations paradoxales, bons mots codés en plusieurs couches insidieuses, ou encore fulgurances littéraires.
Avec ce premier essai transformé – ô combien ! -, je me suis précipité dans la foulée pour acquérir les six « Autofictifs » précédents… Si fatalement le redoutable exercice auquel se livre Éric Chevillard – produire 365 x 3 = 1 095 (hors années bissextiles) textes goûteux à partir de matériaux fugaces et extrêmement variés – apporte, pour chaque lectrice ou lecteur, en fonction de ses idiosyncrasies, son lot de textes situés « un cran en-dessous », le feu d’artifice d’ensemble est très impressionnant, et il n’y a guère de pages qui ne provoquent gaillardement le sourire, le songe, voire le franc rire ou l’interrogation abyssale.
1er octobre
Mon écriture privilégie ces deux motifs : l’aphorisme et la digression. Et cependant, j’échoue misérablement à chaque fois que j’essaie de placer – ce serait mon grand œuvre – une digression dans un aphorisme. (…)
27 septembre
– On sent que c’est très important pour vous d’être père de ces deux petites filles, mais pouvez-vous nous dire plus précisément ce que cela signifie ?
– Eh bien, par exemple, pas plus tard que ce matin, en passant le balai sous l’armoire de la salle de bains, j’ai ramené un gnocchi. (…)
21 octobre
Une petite boîte contenant un tube de colle, une languette de papier de verre et des rustines, voilà tout ce qui nous reste du temps où l’homme était un débrouillard. (…)
22 octobre
Hier matin, j’ai été réveillé par Pline l’Ancien. Je sais, c’est difficile à admettre. Tout le monde le croyait mort dans l’éruption du Vésuve en l’an 79. Or il a sonné à ma porte avec une vigueur intacte. Sa Pléiade ne rentrait pas dans la boîte. (…)
27 décembre
– Laisse la porte ouverte et allumé dans le couloir.
Quel enfant n’a spontanément prononcé chaque soir ces dernières volontés avant de sombrer dans le sommeil ? Curieuses requêtes, pourtant, car c’est indiquer la route, tracer la voie et faciliter l’accès aux loups, aux monstres, aux pédophiles et autres créatures abominables qui n’ont même plus à chercher leurs proies. (…)
17 janvier
Je lui proposai de partager ma vie ; elle accourut, radieuse, avec un grand couteau. (…)
21 janvier
Ça se lit bien est un curieux argument pour défendre un livre. J’ai l’impression d’entendre un sommelier me dire ça se boit bien en posant une carafe d’eau sur la table. (…)
Un nouveau ravissement du cœur et de l’esprit par le pouvoir du langage.
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Rétroliens/Pings
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