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Notes de lecture 2015

Note de lecture : « Abrégé de l’histoire de ma vie » (P.N.A. Handschin)

Mettre à nu les codes fallacieux et les syllogismes du storytelling automatisé, avec un humour décapant.

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Abrégé

Publié en 2011 aux éditions Argol, le sixième tome du colossal projet « Tout l’univers » de P.N.A. Handschin (que j’ai paradoxalement découvert seulement l’an dernier par son tome 7, « Traité de technique opératoire ») s’appuie sur l’abondant matériau de « briques » pseudo-biographiques assemblé dans l’ouvrage précédent, « Ma vie », en 2010.

Cet « Abrégé de l’histoire de ma vie » est ainsi un texte à la fois puissamment adossé (le corpus représenté par les centaines d’éléments imaginaires et volontiers provocateurs de « Ma vie » est impressionnant) et devant dégager une voie personnelle pour ne pas se réduire – comme son titre gentiment fallacieux pourrait le laisser supposer – à une redite ou à un condensé.

Mes consultations (de voyance et astrologie dynamique) coûtaient 39 € au cabinet et 49 € à domicile et sans limite de temps en temps, c’est vrai, j’aimais bien fumer un joint d’herbe ou, si j’en avais les moyens, un petit sniff de coke quand j’étais jeune, on me disait : « Eh ! vous verrez quand vous aurez cinquante ans ! », or j’ai eu cinquante ans (il y a belle lurette déjà), et quoi ? je n’ai rien vu le contexte bigrement incertain, j’ai jugé préférable de quitter Fort-de-France et la Martinique en secret, Scarlett (Johansson) et moi nous nous sommes mariés (sous le régime de la communauté universelle de biens, avec clause d’attribution intégrale de la communauté au conjoint survivant en cas de décès par rougeole ou piqûre de raie pastenague à points bleus – corps presque circulaire, légèrement plus long que large) en novembre de la même année, j’ai été convoqué à Kecskemét (Hongrie) pour témoigner lors du procès relatif à l’attentat à la bombe au napalm + vélo piégé dont j’avais été victime d’une congestion cérébro-pulmonaire allergique (avec augmentation de la densité osseuse)

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C’est ici que l’audace, l’habileté et la détermination sans faille de P.N.A. Handschin font merveille. Délaissant l’exploration sauvage conduite précédemment à grands coups rageurs (mais en réalité extrêmement maîtrisés) d’énumérations, d’accumulations, de juxtapositions et de savoureux coqs à l’âne, il s’attache au long de ces 150 pages non plus tant aux éléments pseudo-biographiques eux-mêmes (leur vanité et leurs visées pernicieuses ayant été amplement démontrées précédemment) qu’aux liens logiques – ou plutôt syllogiques, voire a-logiques – que le storytelling contemporain prétend imposer au monde, le matériau biographique imaginaire – mais si finement tissé de réel plus ou moins décalé – en constituant un terrain particulièrement privilégié (en même temps que d’une difficilement résistible drôlerie) d’observation et d’analyse.

J’ai suivi sans réellement m’y intéresser des études de pétrochimie inorganique comparée et de droit dans mes bottes

(…)

mes amis ont été embarqués pour les camps d’où ils ne sont jamais revenus au plus haut niveau

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Comme le montrent les deux exemples ci-dessus, pris quasiment au hasard, P.N.A. Handschin excelle à saisir le potentiel d’automatisme – et donc d’absurde d’abord dissimulé – que contiennent le moindre adjectif ou le moindre adverbe, révélant sous sa plume impitoyable et caustique leur nature de porte-clichés et de court-circuit de la réflexion. Dans cet « Abrégé », il systématise le procédé en l’étendant, plus que tout, au travail des enchaînements, des causalités « naturelles » déployées par les commentateurs et formateurs d’opinion de toute espèce, celles et ceux qui, âpres et avides de saturer le temps de cerveau disponible de leurs auditeurs, spectateurs ou lecteurs, usent d’une langue appauvrie et faussée pour enfouir l’absurde de leurs raisonnements sous le poids terrifiant de l’évidence mensongère, de la précision superflue censée accréditer l’absurde ou du commentaire entre parenthèses voué à augmenter la réalité.

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Suis devenu chef cuisinier (à la Tour d’Argent) avant d’être interné en hôpital psychiatrique (avec traitement préventif par ponctions lombaires et électrochocs) à contre-gré, j’ai dû me défaire de mon magnifique piano aqueux numérique Yamaha laqué vert absinthe et le vendre à la maison Lindsay avec option de rachat dans l’année suivante, j’ai eu la chance inouïe, extraordinaire, de chanter en trio – au théâtre du Châtelet – avec Tino Rossi et Stevie Wonder Woman, la super-héroïne aux supers-pouvoirs (mais il faut croire que ça n’a pas suffi), m’a demandé (harcèlement quasi) en mariage à de très nombreuses reprises en vain, j’ai essayé d’obtenir du ministre de la Magie (monsieur Mangematin) un décret transformant la fonction de sous-secrétaire-greffier de la Commission paritaire latérale de l’Institut en celle de ravitailleur de l’Institut de France m’a même adressé, sur ces notables entrefaites, un courrier me signifiant sans politesse ni gracieuseté excessives, de bien vouloir, si cela ne me défrisait point, m’occuper une bonne fois pour toutes (once and for all) de mes affaires sont allées franchement de mal en pis de pire en pire au fil des mois, la coalition la plus vile, salope, honteuse et déloyale s’est formée contre moi c’est vrai, je me suis toujours senti (merveilleusement) seul et irréel au Fonds pour la Défense de la Biodiversité et des Petits Épargnants (FDBP), j’y ai œuvré avec ardeur et détermination dans ma jeunesse, j’avais une belle barbe noire superbement romantique taillée en pointe comme celle que mon dandy bedonnant de père avant moi arborait crânement j’ai refusé (non sans l’avoir bien sûr aussitôt amèrement – mais muettement – regretté) de signer une demande en grâce à une interview exclusive d’Abraham Lincoln (après sa visite à Montfroc (à 11 km à l’est de Séderon et 30 km à l’ouest de Sisteron) dans la Drôme), je suis devenu journaliste à Samedi-Soir, puis j’ai rejoint le Daily Mirror – dont j’ai pris les rênes à peine âgé de vingt ans

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La lectrice ou le lecteur de « Ma vie » retrouveront ici quantité de personnes, d’expressions et de lieux familiers, comme on se glisse dans un univers connu pour en décrypter les rouages de plus près. Les néophytes vis-à-vis de l’auteur découvriront en revanche simultanément la profusion biographique (même « abrégée »), tordue et rapiécée en un éblouissant feu d’artifices, et le minutieux agencement des enjambements, des mots de liaison détournés pour faire accroire, toujours davantage, qu’un certain ordre du monde, construit et calculé, est naturel, fatal et inamovible. Peu d’exercices de décryptage du rôle de la langue dans la formation du sens partagé, pour le meilleur mais surtout pour le pire, sont aussi drôles et aussi salutaires.

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À propos de Hugues

Un lecteur, un libraire, entre autres.

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