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Notes de lecture 2015, Revues

Note de lecture : « Le chant du monstre – 4 » (Revue)

Toujours aussi beau et impétueux, le Chant du Monstre est de retour.

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CDM 4

Publié en octobre 2015 aux éditions sun/sun nouvellement créées, le quatrième numéro du Chant du Monstre, après une pause pour reprendre son souffle et son élan, est dans la lignée de ses trois prédécesseurs, alignant avec fougue les éléments d’un exigeant croisement entre genres littéraires, entre formes artistiques, entre contenus, entre actrices / acteurs de l’hybridation qui est plus que jamais sa marque revendiquée de fabrique.

Côté acteurs de l’édition (la rubrique « Affinités électives »), après Monsieur Toussaint Louverture (Numéro 1), FRMK (Numéro 2) et Cambourakis (Numéro 3), c’est Le Nouvel Attila qui est à l’honneur, avec un dossier extrêmement fouillé, autour d’un long entretien avec Benoît Virot, et de zooms, accompagnés d’extraits des textes, sur la mise en œuvre éditoriale de « L’Écorcobaliseur » de Bérengère Cornut (qui fut l’invitée d’une mémorable soirée à la librairie Charybde), du « Farigoule Bastard » de Benoît Vincent, de l’ « Invention des autres jours » de Jean-Daniel Dupuy, du « Dans le tourbillon » de José Antonio Labordeta, du « Paradis des autres » de Joshua Cohen (qui fut l’invité d’une autre soirée mémorable chez Charybde), d’ « Ariane dans le Labyrinthe » de Philippe Bollondi (encore un invité de Charybde, décidément…), et de « L’interlocutrice » de Geneviève Peigné.

L’une des préoccupations qui ne m’a jamais quitté depuis la naissance de la revue est le soin apporté à la forme du livre et l’importance du rapport texte / images. J’ai toujours cherché à trouver des liens possibles entre des textes et des images parce que je trouvais que les dessinateurs étaient d’excellents lecteurs, au même titre que les traducteurs, et mon travail a très rapidement consisté non plus seulement à transmettre un texte à des lecteurs mais à essayer de multiplier les clés de lecture et les interprétations d’une œuvre via le recours à l’image. Lorsque je publiais majoritairement des rééditions, travailler en collaboration avec un dessinateur pour donner à un texte une nouvelle identité visuelle me plaçait dans la peau du metteur en scène qui livrerait une énième adaptation d’un même texte mais avec des décors, des castings, des rythmes, des prosodies et des atmosphères différentes. (…)
Aujourd’hui encore, dans le travail sur le livre lui-même, ce que je demande aux dessinateurs n’est pas d’illustrer le texte mais bien d’en livrer leur interprétation propre. La construction du livre, sa mise en page se plie à leur ressenti : les dessins peuvent ainsi figurer en insert au cœur du livre, entre les chapitres, sous forme de papillon à la fin de l’ouvrage ou d’affiche comme l’a fait Lorenzo Mattoti pour Le désert et sa semence de Jorge Baron Biza (n’oublions pas non plus les cartes Panini du Voyage imaginaire de Léo Cassil). Nous commençons par définir ensemble une vision commune du texte afin de déterminer s’il est plus juste de se diriger vers un dessin figuratif ou abstrait, un gros plan ou un panoramique, ensuite le dessinateur a carte blanche.

CDM Attila

Extraits de Nouvel Attila et de Chant du Monstre.

Le Chant du Monstre se penche également à nouveau avec passion sur des auteurs trop tôt disparus, ou, selon sa belle formule dérivée de Marina Tsvetaeva, « des écritures toujours vivantes des écrivains qui ne courent plus » (la rubrique « Ex-qui ? »): après Kathy Acker et son « Don Quichotte » (Numéro 1), Nicolas Genka et son « L’épi monstre » (Numéro 2), Jean-Pierre Martinet et son « Jérôme » (Numéro 3), voici Jean Forton et son « L’enfant-roi », superbe redécouverte, une fois de plus, cette fois d’un auteur qui, s’il n’est « maudit », compte clairement parmi les « désemparés » évoqués par Patrice Delbourg et rappelés dans la présentation qu’en effectue le Chant du Monstre.

C’est une douleur particulière et terrible, elle prend naissance au coeur, un atroce pinçon, puis elle gonfle et irradie, envahit la poitrine et la gorge, et descend jusqu’aux jambes, une douleur brutale qui met longtemps à s’atténuer, à disparaître. Maman avec un homme. Ronge ta douleur, petit Daniel., ronge ta douleur sans jamais l’espoir d’en venir tout à fait à bout. C’est le grand malheur du monde. Tu es né d’une femme. Tu es né d’une femme, petit Daniel, et maman pour te concevoir s’est comportée en femme.

La rubrique « Seul(e) contre tous », qui saisit des points de vue spécifiques d’acteurs du monde des lettres et de la « chaîne du livre », a été confiée cette fois, dans un instant de folie, à Charybde 2 (oui, c’est moi…). Inutile de dire que j’étais largement tétanisé de trouille à l’idée de m’exprimer après Fabrice Colin (Numéro 1), Pierre Jourde (Numéro 2) et Laure Limongi (Numéro 3). J’ai néanmoins tenté, plus ou moins maladroitement, d’ébaucher ce que pourrait éventuellement vouloir dire « passeur » dans le cas d’un libraire, de parler de football, de Louis de Funès, de zones frontalières entre les genres littéraires – avec une évidente tendresse pour le fantastique et la science-fiction -, de fertilisations croisées et donc, d’hybridation (« What else ? »).

Daehyun Kim

Daehyun Kim

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Fidèle à cette ligne éditoriale qui m’avait tant surpris au début, et rapidement, tant enchanté, le Chant du Monstre fait la part belle (et ici, qualité du papier et de la mise en page jouent un rôle toujours essentiel) à l’illustration et au graphisme, et à leur interaction étroite avec les textes, dans les deux grandes rubriques « Alchimie » et « Cabinet de curiosités ».

Après Donatien Garnier, Guillaume Bullat, Thomas Vinau, Émilie Alenda, Pierre Senges, Killoffer et Frédéric Noël (Numéro 1), Faubert Bolivar, Simo Aagadi, Catherine Duchêne, Johann Fournier, the Hell’O Monsters et Anthony Goicolea (Numéro 2), Orion Scohy, Laurie Bellanca, Laurent Derobert, Adrien Altobelli, Keun Young Park et Fukaya Etusko (Numéro 3), voici l’occasion de découvrir le travail de poétique spatiale conduit par Véronique Béland et Chrystelle Bédard (« This is Major Tom to Ground Control »), le rapport entre son et papier exploré par Gildas Secretin et Alexandre Rivault, et les sentiments personnalisés et incarnés par Daehyun Kim, magnifiques et troublants.

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CDM Evolution

La fête ne serait pas complète sans la rubrique « Parce que ! », expression radicale d’une envie de littérature contemporaine qui m’a déjà offert les découvertes  de Pierre Terzian et de son « Crevasse » (Numéro 1), de Tarik Noui et de son « À nos pères » (Numéro 2), d’Andréas Becker et de son immense « L’effrayable » (Numéro 3), proposant à chaque fois de courts textes inédits des auteurs en question.

Elle consacre ce numéro à un auteur que j’adore déjà (et qui sera d’ailleurs libraire invité chez Charybde le 28 octobre prochain, qu’on se le dise et que l’on vienne !), Alban Lefranc, dont l’ensemble des textes disponibles constitue une sorte de must pour lectrices et lecteurs curieux du choc entre poésie, culture populaire et histoire contemporaine, avec « Si les bouches se ferment », « Fassbinder, la mort en fanfare », « Vous n’étiez pas là », « Le ring invisible » ou encore « L’amour la gueule ouverte (hypothèses sur Maurice Pialat) ». Et nous pouvons ainsi découvrir ici un extrait en avant-première d’une pièce de théâtre à venir, écrite pour la compagnie Le menteur volontaire autour de la prise du pouvoir par les nazis.

Voici donc signée, par cette fougueuse et insatiablement curieuse équipe, une nouvelle pièce essentielle pour la panoplie des lectrices et lecteurs avides de zones frontières et de transfictions (au sens de Francis Berthelot), de barrières brisées et d’échanges féconds.

Pour acheter ce numéro chez Charybde, c’est ici.

À propos de Hugues

Un lecteur, un libraire, entre autres.

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