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Notes de lecture 2010

Note de lecture : La trilogie Gormenghast (Mervyn Peake)

Une trilogie monumentale, l’aboutissement d’une recherche du gothique perdu.

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Trilogie

1946 : la découverte du Château, de la famille, des occupants.

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Publiée en 1946 (traduite en 1974 en français par Patrick Reumaux), « Titus d’Enfer », la première partie de la trilogie, fait comprendre au lecteur, dès ses premières pages, qu’il va vivre un moment exceptionnel.

Le roman démarre avec la naissance de Titus d’Enfer, héritier de Gormenghast – cette gigantesque et labyrinthique forteresse sans âge, d’apparence médiévale, construite au milieu du pays -, fils du mélancolique Lord Tombal et de la formidable Lady Gertrude, grande amoureuse des chats et des oiseaux, petit frère de leur énigmatique fille adolescente Fuchsia, neveu des deux tantes jumelles Cora et Clarice, et parmi un bon nombre de serviteurs plus ou moins spécialisés, parmi lesquels on compte le docteur Salprune, médecin du château, Monsieur Craclosse, majordome personnel de Lord Tombal, Nannie Glu, la vieille nurse de la noble famille, ou encore Lenflure, le monstrueux chef des non moins énormes cuisines.

Débordant d’humour noir, de descriptions subtilement horrifiantes et de grandeur gothique, ce roman proprement extraordinaire communique, tout au long de l’histoire, un sentiment d’urgence, au sein d’un environnement semblant pourtant lent et replié sur lui-même – et c’est l’une des autres merveilles de ce livre, qui a influencé tant d’écrivains majeurs de la fin du vingtième siècle.

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« Les vieux jouets de Fuchsia, ses livres et des coupons d’étoffe colorée s’entassaient aux quatre coins de sa chambre, au centre du second étage de l’aile ouest du château. Un lit de noyer occupait toute la longueur du mur dans lequel s’encadrait la porte. En face, les deux fenêtres triangulaires donnaient sur les remparts où, un mois sur deux, à la pleine lune, les maîtres sculpteurs des huttes d’argile venaient se promener au soleil couchant. Au-delà des remparts s’étendaient les pâturages, puis les bois d’Épines qui grimpaient le long des flancs abrupts de la montagne de Gormenghast.
Fuchsia avait couvert les murs de sa chambre d’impérieux coups de fusain. À chaque extrémité de la pièce, le plâtre du mur était resté couleur de corail. Elle n’avait fait aucun effort pour le décorer. Elle ne dessinait que dans ses moments d’exaltation, lorsqu’elle était en proie à un amour ou à une haine violente, et n’avait aucun sens des proportions. Ses dessins manquaient de subtilité, mais il émanait d’eux une vitalité extraordinaire. Ces images déchaînées transfiguraient les murs au point que les jouets et les livres qui gisaient aux quatre coins de la chambre ressemblaient à de termes monticules. »

À noter la superbe préface d’André Dhôtel dans l’édition Phébus de 1998, reprise en poche en Points Seuil.

1950 : le sommet, l’essence du gothique tordu.

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Deuxième volume de la trilogie, publié pour la première fois en 1950 (en 1977 en français, toujours traduit par Patrick Reumaux), ce roman de 400 pages représente sans doute le sommet de l’art de Mervyn Peake. Après la fin plutôt raide de « Titus d’Enfer », nous sommes projetés quelques années plus tard. Les personnages existent maintenant fermement dans notre esprit, comme de vieux compagnons de voyage, et c’est avec plaisir et familiarité que nous allons accompagner Titus adolescent, ou le docteur Salprune et Lady Gertrude, qui continuent discrètement à réfléchir aux sombres événements du premier tome…

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La revue de personnages des six premières pages de “Gormenghast” est certainement l’un des plus beaux passages de littérature que je connaisse.

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« Titus a sept ans. Son monde, Gormenghast. Nourri d’ombres ; sevré dans les linges du rituel : ses oreilles vouées aux échos, ses yeux à un labyrinthe de pierre ; pourtant, dans son corps, autre chose – autre chose que cet ombrageux héritage. Car d’abord, et avant tout, il est un enfant.
Des rites plus contraignants que jamais homme n’en conçut luttent contre les ténèbres enracinées. Un rituel du sang ; du sang bondissant. Ces sensations vives ne viennent pas de ses ancêtres, mais de ces foules insouciantes, mille fois millénaires, des enfances de la planète. Le don du sang joyeux. Du sang qui rit quand les dogmes disent : « Pleure ». Du sang qui pleure quand les lois sèches ordonnent : « Réjouis-toi !’ Ô petite révolution en grandes teintes ! »

“Irma n’écoutait jamais que les cinq premiers mots des périodes quelque peu entortillées de son frère, si bien qu’une quantité respectable d’insultes lui passaient par-dessus la tête. Des insultes qui n’avaient, en soi, aucune méchanceté et qui procuraient au docteur une forme de divertissement verbal sans lequel il aurait dû passer tout son temps enfermé dans son cabinet. D’ailleurs, ce n’était nullement un cabinet, car, bien que les murs fussent tapissés de livres, il ne contenait rien d’autre qu’un fauteuil très confortable et un fort beau tapis. Il n’y avait pas de bureau. Ni papier ni encre. Ni même une corbeille à papiers. »

Ce volume est aussi, sans doute plus encore que le premier, l’illustration parfaite de cet humour noir et tordu, par lequel – comme il me semble avoir lu Iain Banks le rappeler à l’occasion – toute possibilité atroce qui existe, a des chances de se matérialiser…

L’édition Phébus de 2000, reprise en Points Seuil, nous offre en prime une utile préface du traducteur Patrick Reumaux.

1959 : parfois déroutante, une tonalité bien différente.

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Troisième volume de la trilogie, publié en 1959, écrit difficilement car la santé de Mervyn Peake déclinait alors déjà rapidement, ce roman est sensiblement différent des deux précédents : comme le titre anglais l’indique, Titus, quittant Gormenghast, est seul – sans les personnages ayant accompagné ses 17 premières années, et sans les murailles familières du château. Évoluant plus ou moins au hasard en de nouvelles contrées et parmi de nouvelles personnes, il se perd pour de bon, physiquement et émotionnellement…

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Par chance, des personnages exceptionnels tels Musengroin, un aventurier en semi-retraite, et Junon, une adorable femme de la haute société, vont énormément l’aider, contre toute attente, à sauver la mise…

Roman étrange, d’une manière très différente de celles de « Titus d’Enfer » et de « Gormenghast », il porte toutefois un charme particulier, que je n’avais pas vraiment idéntifié en première lecture, il y a quelques années, mais que j’ai aimé découvrir enfin l’été dernier… Il augmente aussi le niveau de regret sur l’incapacité de Peake, pour cause de santé déclinante, à écrire, comme il le souhaitait, le 4ème et le 5ème volumes, car ce « Titus errant » pointe la voie d’une autre magnificence…

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Les deux premiers tomes de la trilogie ont été superbement adaptés par la BBC, en quatre épisodes, avec notamment un inoubliable Jonathan Rhys-Meyers dans le rôle de Steerpike / Finelame.

Il faut lire les mots de Nébal, en 2009, sur cette monumentale trilogie. Et ce qu’en disait Mr. C, en 2006, sur le Cafard Cosmique. Le site officiel consacré à la trilogie est également fort bien documenté.

Pour acheter la trilogie chez Charybde : Titus d’Enfer, Gormenghast, Titus errant.

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Trilogy

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À propos de Hugues

Un lecteur, un libraire, entre autres.

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