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Notes de lecture 2018

Note de lecture : « La part des nuages » (Thomas Vinau)

Pas seulement la part, mais le parti pris des nuages.

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Un cornichon de la taille d’un immeuble… Une femme à six pattes… Les traces de pieds d’un ogre… Un crocodile  qui se mouche… Et un tracteur en train de fonde comme du beurre… Une citrouille avec des cornes… Un cow-boy qui rugit et se transforme en zèbre… Une patate avec une moustache… Une paire de seins… Le visage de Merlin l’Enchanteur… Ils sont tous les deux couchés dans l’herbe. La semaine a fini par finir. Noé a posé sa tête sur le ventre de son père. Le soleil leur mordille la peau. Il a essayé plusieurs fois d’enchanter la stratosphère depuis qu’il a eu cette étrange révélation. Sans succès. Et tout d’un coup, ce matin, il a eu peur que Noé ait perdu cela aussi. Qu’il soit comme contaminé par ce virus de vide. Il l’a entraîné dans le jardin, et après avoir suffisamment couru derrière le ballon, ils se sont retrouvés là, couchés dans l’herbe, à regarder le ciel. Alors il lui a demandé avec une appréhension contenue ce qu’il voyait se dessiner dans les nuages. Et Noé n’en finissait plus. Renard… Dragon… Chevalier… Château… Indien… Navire… Montagnes russes… Sous-marin… Baobab… Hippocampe… Sorcière… Éléphant… Rat géant… Pirate pouilleux… Vaisseau spatial… Une carotte avec des lunettes de soleil…

Publié en 2014, trois ans avant le beau « Le camp des autres », et déjà chez Alma, le troisième roman de Thomas Vinau est particulièrement court et intense. Un jeune père divorcé en plein désarroi, bibliothécaire plongé dans l’ennui, semblant ne survivre fugitivement, encore à chaud, que par et pour son tout jeune fils Noé, qui vit « majoritairement » chez lui, se met tout à coup à flotter doucement, au moment où il se retrouve (brièvement) seul face à lui-même. En insérant dans un quotidien en attente désespérée de réenchantement (on songera sans doute à la magnifique « Magie dans les villes » de Frédéric Fiolof, qui opère pourtant depuis un tout autre continuum) une rêverie orientée qui se nourrit d’abord de ce que l’enfance voit dans les nuages, ou dans les cabanes, « Petit ailleurs » s’il en est, Thomas Vinau transforme sous nos yeux légèrement ébahis le potentiellement anodin et le normalement banal en une aventure aux lisières du fantastique, retravaillé au corps, dans laquelle un clochard peut sans prévenir devenir céleste et ouvrir les portes de somptueuses cathédrales, une tortue terrestre peut se constituer en ouvreuse de portes magiques, ou une bouteille de mauvais rosé se transformer en philtre de prescience.

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La pluie ne tardera pas à tout remettre à sa place. C’est-à-dire au sol. À terre. Par terre. La pièce, principale et unique, est assez grande pour qu’il s’assoie ou s’allonge. Il ne peut se mettre debout que sur la petite terrasse, en planches de coffrage, assorties d’une balustrade vernie et clouée à deux palettes de chantier en guise de balcon. Il y a une grosse corde à nœuds pour descendre d’un côté et des barreaux cloués sur le tronc en guise d’escalier de l’autre. Ça c’est pour Noé puisque, le cerisier ne dépassant pas un mètre cinquante de hauteur, n’importe qui peut se hisser directement à l’intérieur. Il y a une fenêtre en plexiglas aussi. Une partie du toit est en goudron, l’autre en grillage. À l’intérieur, une caisse en bois sert de table et une autre de meuble, sur laquelle sont disposés coquilles d’escargots, lime rouillée, fil de fer, petit miroir de grand-mère, gobelets vides, lunettes de soleil sans verre, canif à tire-bouchon, briquets usagés et Playmobil amputés. Contre le tronc, des bâtons et bidules de toutes sortes sont entreposés. Douze clochettes ficelées ensemble tintinnabulent dès que quelqu’un tente de monter. Une fois à l’intérieur, mais croisées derrière la tête, il improvise un lancer de ronds de fumée autour d’une toile d’araignée, activité qui ne tarde pas à l’accaparer complètement dans un mélange d’intérêt paisible et de contentement joyeux auquel il n’avait pas goûté depuis bien longtemps.

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Il faut disposer d’une redoutable poétique pour parvenir ainsi, en à peine 100 pages, à construire une fable mêlant le très concret et l’onirique pleinement assumé, contre les vicissitudes apparentes de vies ordinaires contaminées par une avidité toujours rampante. Thomas Vinau nous prouve ici qu’il dispose de ces armes d’écriture et de langage, et que, sous le signe en exergue de Richard Brautigan et sous celui en bouquet final d’Emily Dickinson, il peut nous dire en toute humilité et en toute lucidité, dans sa note de conclusion :  « Je suis un peu comme Joseph. Je cherche des refuges, des planques, des chemins de traverse. Moi, je prends souvent la tangente d’un sourire, d’un fil de fumée bleue ou d’un livre. Je fais le mur, je saute par la fenêtre et déguerpis dans la forêt nocturne. Les livres sont des lettres que l’on plante comme des arbres. Et qui poussent dans le coeur des gens. Y a des futaies profondes là-dedans, et des taillis pointus. »

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Thomas Vinau

Photo ® Duclock

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À propos de Hugues

Un lecteur, un libraire, entre autres.

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