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Notes de lecture 2017

Note de lecture : « La mer c’est rien du tout » (Joël Baqué)

La langue c’est tout.

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Une maison en quérons, un père employé dans un domaine viticole surtout remarquable par ses vues bornées décourageant toute curiosité et toute joie de vivre, une mère dépressive et mutique, un petit frère Paul qui bégaie et une grande sœur, Valérie, miraculeusement belle : entre rire et tristesse, légèreté et désespoir, Joël Baqué retrace dans ce livre paru en 2016 aux éditions P.O.L. la trajectoire d’un adolescent qui lui ressemble dans les années 1970 dans un village de l’Hérault, les frustrations amères de ses parents sans argent et sans rêves, les complicités de la fratrie, et plus tard le bonheur de l’écriture, de l’amour et les grands chagrins.

Mon père l’affirmait : «L’accordéon c’est plus difficile que le piano parce qu’en plus des touches faut doser l’air. L’accordéon, ça oui c’est quelque chose !»
Il aimait dire : « Tout ça c’est que des bouillacades ! » Les bouillacades incluaient les Clodettes, les promesses électorales, le peintre Soulages, les minijupes, les vacances, les sentiments, les disques de ma sœur, la joie de vivre.

Ancien CRS et officier de police, Joël Baqué a commencé à écrire en découvrant la poésie de Francis Ponge, grâce à un livre trouvé près du poste de secours d’où il surveillait la plage.
Succession fluide de micro-textes poétiques, à l’instar du «Souviens-moi» d’Yves Pagès, kaléidoscope de souvenirs individuels où s’inscrivent des images de la mémoire collective, comme «les verts de Saint-Étienne dans le chaudron de Geoffroy-Guichard» ou «Giscard offrant un petit déjeuner télévisé à des éboueurs», «La mer c’est rien du tout» raconte par touches la vie d’une famille dont on dirait pudiquement qu’elle est très modeste.

Trop cher pour nous, c’était presque tout. Les meubles de la cuisine étaient en formica, le reste du mobilier en toc d’obédiences diverses : plastique, stratifié, mélaminé, placage, bois mous.
Acheter du fromage à la coupe était aussi inimaginable que boire du thé ou sourire à un étranger.
Nous n’étions pas miséreux mais « un peu justes » comme tout le monde à Montblanc sauf le riche au parc avec le dogue, le docteur avec la cravate et le patron avec ses vignes.
Il fallait «faire attention».

Plus que le manque d’argent ce qui pèse surtout c’est le manque de mots, dans cette maison où le père accuse les livres de «tuer la vue» et de remplir l’esprit de bouillacades, et où la mère ne sait rien dire jamais, ni parler de la beauté du monde ni raconter des histoires pour peupler les rêves.

Une grosse boule constituait l’horizon mollement infranchissable du Prisonnier. Un peu ce qu’on ressentait le dimanche dans la maison en quérons (tous les jours pour ma mère).

Le salut vient du peuple aimé des livres et plus tard du départ – l’urgence est de quitter la maison en quérons au plus vite – puis du plaisir de composer et d’assembler des phrases concises qui laissent ressentir tout un univers.

Je ne passais plus les étés à cracher par terre mais à surveiller des plages. J’aimais prendre la température de l’eau depuis le Zodiac pour la noter ensuite sur le tableau du poste de secours. Le temps d’infusion du mercure je lisais quelques pages de Proust et la mer de Balbec me paraissait alors bien plus réelle que la mer de Port-Leucate.

Récit largement autobiographique, la magie de ce septième livre de Joël Baqué est contenue dans la voix de son narrateur toujours proche de l’innocence désarmante des enfants et dans la danse du langage qu’il orchestre, de mélancolie en fantaisie chevillardienne.

Le pompon restait plus longtemps devant les enfants plus lents parce qu’on n’était pas encore dans la vraie vie mais sur un manège.

Le peuple des enfants des années 60 a grandi entre les yeux de biche et les pattes d’éléphant.

On peut lire les superbes avis de la librairie Ptyx ici et d’Anne-Lise Remacle ici.

Photo © AFP / Joël Saget

À propos de Marianne

Une lectrice, une libraire, entre autres.

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