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Notes de lecture 2016

Note de lecture : « Nos bébés-pélicans » (Manuela Draeger)

La troisième enquête « pour enfants » de Bobby Potemkine. Un régal.

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Publié en 2003 à l’École des Loisirs, le troisième, après « Pendant la boule bleue » et « Au nord des gloutons », tous deux parus l’année précédente, des petits romans prétendument pour enfants qui marquaient les débuts de Manuela Draeger – en auteur existant ailleurs que dans les écrits d’Antoine Volodine – poursuit le récit des aventures de Bobby Potemkine, cet enquêteur qui se voit confier, en lieu et place d’une police évanescente ou disparue, les tâches de recherche et d’élucidation de certaines bizarreries, qui ne manquent pas dans cette ville doucement envahie par les intempéries, les eaux glacées et les phénomènes incompréhensibles.

Car c’est très joli, un bébé-pélican, ça ressemble à un petit ptérodactyle chauve avec des yeux gris tout étonnés, mais, à la longue, ça pose un problème, quand on ne sait pas où se cache sa mère-pélican.
Oui, ça pose un problème. Depuis la pluie des météorites noires de cet hiver, des bébés-pélicans stationnent dans les rues, dans les maisons, dans les magasins, sur les rails tordus du RER, et leurs mères ne sont nulle part. Ils restent sans bouger à l’endroit où ils sont apparus, très tranquilles et très propres, avec un regard gris bleuâtre ou gris rougeâtre et parfois gris doré, un regard pensif dépourvu de toute impatience, comme s’ils n’avaient besoin de rien.
Au bout d’un moment, il y a toujours quelqu’un qui se baisse pour les caresser et leur parler, et leur demander s’ils ont des nouvelles de leurs mères-pélicans. Eux, les bébés-pélicans, ne réagissent pas. Ils restent muets et ils ne font aucun geste. Et on ne réussit pas à obtenir d’eux le moindre renseignement sur eux-mêmes ou sur leurs mères.

Avec le plaisir de retrouver, autour de Bobby Potemkine, ces personnages étourdissants que sont Lili Nebraska, de Lili Niagara (la chauve-soubise préférée de l’enquêteur, comme on le sait), le chien Djinn, « Nos bébés-pélicans » nous montre à nouveau à quel point le post-exotisme excelle à donner une allure épique – fût-ce celui d’une épopée contée au coin d’un feu moribond sous le givre – au récit, à émuler le ton du conte (que l’on songe aussi aux incroyables bylines d’Elli Kronauer, telles « Illia Mouromietz et le rossignol brigand » en 1999) destiné en apparence à l’édification de la jeunesse, à dompter l’apocalypse tranquille de ces temps crépusculaires par le seul moyen du langage et de cette confiance surnaturelle en l’évidence de la défaite et de la mort qui hante même les personnages les moins durs de l’univers post-exotique.

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FRA/ ORLEANS : ANTOINE VOLODINE "ANDERSEN PHOTOGRAPHE" FRANCE ORLEANS PORTRAIT "VOLODINE ANTOINE SEUL" "SEANCE DE POSE" "POSANT ATTITUDE" "IMAGE NUMERISEE" EXTERIEUR RUE

® Andersen Photographe

Oui, c’est bizarre, et comme, autrefois, à l’époque où la police existait encore, je m’étais spécialisé dans les énigmes et les anomalies, telles que l’invention du feu ou les métamorphoses de la lune, on m’a confié l’enquête, cette enquête sur les bébés-pélicans. J’ai reçu une lettre officielle, signée Lili Nebraska. C’est Lili Nebraska qui remplace la police, actuellement, puisque la police a disparu. Elle me priait de passer la voir au plus vite.

L’inventivité du bestiaire magique et désenchanté mis en œuvre ici n’est à nouveau pas en reste, avec l’apparition d’une ratinette polaire (dont je vous laisserai découvrir les curieuses et éminentes caractéristiques), nommée Soraya Gong, séduite par Djinn au nanoctiluphe, ainsi que la capacité toujours aussi étonnante chez les écrivains post-exotiques à suggérer inquiétude profonde ou désastre imminent en mobilisant fort peu de moyens, mais en les ajustant au millimètre dans les phrases nécessaires.

Comme c’était le moment où les gens  descendent balayer la frange des vagues, en quête de nourriture, de coquillages ou de trésors, il nous arrivait de croiser des voisins du quartier. Presque tous avaient un bébé-pélican suspendu sur la poitrine, avec les ailes un peu écartées et l’air méditatif ou ébahi. Ils essayaient de communiquer avec eux en leur tapotant le crâne, ils leur racontaient affectueusement des anecdotes sur le présent ou ils leur confiaient des projets d’avenir – par exemple ce qu’ils prévoyaient de faire avant la tombée du jour -, mais les bébés-pélicans n’avaient aucune réaction. On avait donc l’impression que ces voisins et ces voisines ne s’étaient pas bien réveillés et qu’ils continuaient à parler tout seuls comme pendant les périodes somnambuliques de la pleine nuit.

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À propos de Hugues

Un lecteur, un libraire, entre autres.

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