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Notes de lecture 2015

Note de lecture : « Afghanistan – La guerre inconnue des soldats français » (Nicolas Mingasson)

En texte et en images, un an avec un groupe de combat français en Afghanistan.

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Afghanistan

Publié en 2012 chez Acropole, cet ouvrage abondamment illustré est au départ surtout le compte-rendu « en images » (avec plus de 250 clichés souvent impressionnants) de l’insertion du photographe Nicolas Mingasson au sein d’une unité française combattant en Afghanistan (appartenant au 21ème RIMa de Fréjus), au cours de l’année 2010, depuis la préparation de la rotation jusqu’au retour en France, insertion qui avait déjà été à l’origine de son (relatif) best-seller, « Journal d’un soldat en Afghanistan », écrit avec le sergent Tran Van Can et publié en 2011 chez Plon.

L’insertion au long cours de journalistes au sein d’une unité combattante demeure une pratique controversée, d’autant plus alors qu’elle s’est généralisée depuis la première guerre du Golfe et la mise en place de pratiques « lourdes » de storytelling de la part des autorités politico-militaires, vis-à-vis de médias pas toujours très critiques face à la version des faits qui leur est ainsi proposée, mais surtout face à l’ « angle » choisi pour les présenter. Anne Nivat, entre autres, avait fort intelligemment pesé les risques et les opportunités de cette pratique, lorsqu’elle avait accepté, en 2010 également, d’accompagner une unité canadienne en Afghanistan (sachant qu’elle avait alors mis un point d’honneur à pratiquer, comme à son habitude, une immersion en profondeur « de l’autre côté », ce que fort peu de journalistes occidentaux sont à même de faire), expérience qu’elle raconte et analyse dans son excellent « Les brouillards de la guerre » (2011). Préfacé par le général Jean-Louis Georgelin (chef d’état-major des armées françaises au début de l’insertion de Nicolas Mingasson au sein du 21ème RIMa), financé en partie par le GMPA (la principale mutuelle des armées françaises), relu (même s’il est précisé qu’il n’y a pas eu de coupes) par l’EMA avant publication, l’ouvrage pourrait ainsi largement prêter le flanc à la critique craignant ici la complaisance ou l’hagiographie pure et simple. Ne cherchant pas à éviter l’obstacle, et précisant très honnêtement le contexte et les limites de son insertion, voire ses propres craintes initiales quant aux conditions déontologiques de son travail, Nicolas Mingasson y échappe très largement.

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Photo © Nicolas Mingasson

Ce que j’ai gagné en empathie et même en amitié, je l’ai peut-être perdu en recul et en indépendance d’esprit. Peut-être, mais puisque rien ne se perd, je sais avoir beaucoup gagné. En me rapprochant d’eux, je gagnais en profondeur, en intimité. Les barrières tombaient et eux me confiaient, le plus souvent, le fond de leurs pensées. J’entends ici les esprits chagrins qui pensent qu’être embedded au sein d’une troupe, c’est vendre son âme au diable. Or, nous, journalistes ou photographes, sommes toujours les hôtes de quelqu’un, qu’il s’agisse d’un chef de milice bosniaque, qui accepte de me conduite à Gorazde à travers les lignes de front, ou d’un éleveur de rennes Dolgan de la péninsule de Taïmyr. Mais, curieusement, il ne m’a jamais été reproché d’être embedded de ceux-ci.
Ce livre est le résultat de mon expérience personnelle au sein du groupe 42, de la 4e section de la 2e compagnie du 21e RIMa. Il relate des événements que j’ai vécus directement ou qui m’ont été racontés par les soldats eux-mêmes. Mais il est aussi le reflet de ce que tous les soldats ayant été engagés en Afghanistan ont vécu, que ce soit en France, lors de leur préparation, ou en Afghanistan. C’est dans cet esprit que j’ai souhaité publier, en début d’ouvrage, une série de portraits en noir et blanc de quelques soldats sélectionnés au hasard.
Ce livre est un mélange de style, un patchwork de photographies, d’informations factuelles et de ressentis personnels. Je n’ai, en aucune manière, cherché à produire un travail d’analyse. J’ai seulement souhaité partager mon expérience – unique auprès de ces jeunes soldats, qui sont, sans même que nous en ayons conscience, des voisins que nous croisons quasi quotidiennement.

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Photo © Nicolas Mingasson

Si on ne trouvera pas ici, en effet, d’analyse politico-stratégique soutenue par une documentation historique significative, comme c’est le cas par exemple dans le très intéressant « Mourir pour l’Afghanistan » de Jean-Dominique Merchet, on sera néanmoins conquis, au-delà de la force indéniable des images, par plusieurs chapitres particulièrement réussis, dans lesquels, de l’intimité du terrain et de la base avancée, surgissent des réalités et des réflexions rendues et conduites avec brio : à noter tout particulièrement, ceux décrivant le rapport au « professionnalisme » et à la valeur des procédures, dont le sens est joliment mis en avant, contre l’intuition du profane, ceux dégageant les conditions d’apparition (et la force surprenante) de la camaraderie de combat et de l’esprit de groupe (sur un périmètre extrêmement restreint, de fait), ceux traitant de la peur, omniprésente, et des manières de la gérer.

La peur, ils n’en parlent pas. Par pudeur, par fierté, mais aussi parce que c’est une émotion qu’il ne vaut mieux pas partager.

Nicolas

Dans les interstices du récit, on trouvera aussi de puissantes résonances, à l’unisson ou parfois en décalage avec d’autres œuvres traitant de ces guerres « contre-insurrectionnelles » contemporaines, auxquelles il est si difficile de donner un sens quotidien, malgré les efforts intenses des soldats et de leurs chefs sur le terrain. S’il n’est jamais explicitement mentionné, le risque de l’absurde, tel qu’il se glisse tout au long, par exemple, du « Fin de mission » de Phil Klay, est omniprésent. Le désarroi qui guette au moment du retour, et qu’il s’agit de combattre de mieux en mieux, évoque nécessairement, depuis un angle pourtant bien différent, le magnifique et troublant « Autopsie des ombres » de Xavier Boissel. Le terrible sentiment d’impuissance globale, naissant chaque jour des barrières culturelles et linguistiques face à une population à protéger, conquérir et – peut-être – comprendre, n’est présent ici que par bribes : il se lit dans le creux des objectifs de mission détaillés, dont la lectrice ou le lecteur, dès qu’elle ou il se place légèrement en surplomb du récit, ne peut que constater qu’ils sont chaque jour plus modestes et plus résignés, précisément, objectifs qui montrent avec cruauté que cette guerre, aussi bien conduite qu’elle soit sans doute, se fait depuis le bas d’une colline, où chaque résultat obtenu est temporaire et fragile. L’un des mérites, et ce n’est pas le moindre, de Nicolas Mingasson, ici, est certainement de faire toucher du doigt, sans jamais l’expliciter, dans l’intimité du groupe de combat, la puissance nécessaire des rituels conjuratoires, psychologiques ou organisationnels, qui doivent être mis en œuvre au quotidien pour faire face à ce rampant sentiment d’échec « stratégique », au-delà de tous les succès tactiques obtenus.

Un bon entretien avec l’auteur est disponible sur le site photographie.com, ici.

À propos de Hugues

Un lecteur, un libraire, entre autres.

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