Un très grand roman noir, sans aucune concession à la légèreté virevoltante des écoles de samba.
Publié en 1998, traduit en français en octobre 2013 par Diniz Galhos chez Asphalte, le premier roman du Brésilien Edyr Augusto, marque l’apparition dans le roman noir contemporain d’une voix originale, issue du journalisme, ancrée dans la grande ville de Belém, capitale de l’état du Pará à l’embouchure de l’Amazone, commodément située à un important carrefour potentiel de tous les trafics sud-américains.
Enquêtant sur le décès brutal et suspect d’un coiffeur de la jet set de Belém, l’inspecteur Gilberto Castro, brillant policier de la nouvelle génération, séducteur, séparé de sa femme par quelques problèmes récurrents d’alcoolisme, nous montre d’abord, loin de tout exotisme frelaté, avec une jolie et presque paisible finesse, à quel point les forces policières contemporaines sont désormais, elles aussi, en pleine mondialisation : confrontées à des problèmes voisins de Stockholm à Baltimore, de Barcelone à Porto Empedocle, de Paris à Belém, leurs investigations tendent de plus en plus à se ressembler, et ce vaste « procedural » global développe en soi quelque chose de légèrement glaçant…
L’art particulier d’Augusto se révèle lorsque l’enquête banale, « de droit commun » pourrait-on dire, se ramifie dans le « très gros » trafic, celui où d’un coup peut se révéler toute la corruption organisée par l’argent massif, celui où les mafieux rencontrent les intérêts d’une très haute société, brésilienne ou autre, dont le confort, les plaisirs et la transformation des autres en objets de leur avidité ne connaît plus guère de limites. Mise en œuvre avec un paisible machiavélisme, la noirceur de la tragédie envahit alors le roman avec une brutalité inexorable qui laisse le lecteur pantelant à l’issue.
Un très grand roman noir. Vraiment noir et sans rémission, sous son rythme et ses couleurs faussement virevoltantes de la légèreté des écoles de samba qui parcourent la ville.
« Maintenant, Bode, on est sûrs.
– Sûrs que c’est ce type qui a commandité l’orgie, Gil. Rien de plus.
– Putains de richards. Ce mec a une épouse qui l’attend à la maison, la belle vie, une belle baraque, télévision, voiture étrangère, et il faut en plus qu’il paye pour se taper des femmes. Excuse-moi, même pas des femmes. Des gamines qui sentent encore le lait, des filles qu’ils dévorent comme des lions…
– Eh ouais. Monde de merde.
– Leur monde de merde.
– Le nôtre aussi, parfois.
– Uniquement si tu l’acceptes.
– Question épineuse.
– Babalu ne méritait pas de mourir comme ça.
– Tu l’aimais vraiment ?
– C’est pas ça. C’est juste qu’elle était vraiment belle, tu vois ? Dieu fait les choses bizarrement. Toutes ces bourges qui se tuent à la tâche pour devenir belles, gym, chirurgie esthétique, sapes, et puis apparaît une gamine venue du trou du cul du monde, et elle est naturellement belle, tu vois ce que je veux dire ? Cette fille-là était vraiment spéciale. Je suis sortie avec elle et elle m’a fait une sacrée impression…
– Tu te l’es tapée.
– Je voulais, oui. Je voulais. Mais pas elle. Ce qu’elle voulait, c’était une relation, une vraie, tu vois ? Je l’ai déposée chez elle et je lui ai dit que je la rappellerai. Mais avec cette vie qu’on mène… »
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