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Notes de lecture 2019

Note de lecture : « Le pilon » (Paul Desalmand)

La vie d’un livre, racontée par lui-même. Savoureux et malicieux.

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Un roman doit commencer par une gifle et se terminer par un coup de poing, me dit un frère de papier. Pour un autre, il faut impérativement un cadavre dans le premier chapitre. Tous se méprennent sur mon projet. Je souhaite uniquement raconter ma vie de livre d’une façon linéaire. J’ai donc tout banalement commencé par l’entrepôt à la sortie des presses pour continuer par les librairies et les bibliothèques où j’ai vécu, qui furent le lieu de longues discussions entre compagnons de rayonnage. Je m’y étais même fait un ami. Plus que tout, mes lecteurs, puisque je ne vivais que par eux.
Je n’écris pas un roman mais seulement un témoignage sur les principaux événements de ma vie. All is true, comme disait ce pédant de Balzac. Mon existence a été mouvementée. Il n’empêche, si les pages qui suivent ont une quelconque valeur, elles ne le doivent qu’à leur véracité.
J’ai plus de vingt ans, ce qui n’est plus la première jeunesse pour un livre ayant beaucoup baroudé, mais je suis assez bien conservé. J’ai bénéficié d’un lifting il est vrai.

Lorsque Paul Desalmand publie ce premier roman chez Quidam en 2006, il a plus d’une quarantaine d’ouvrages derrière lui, comptant parmi eux manuels scolaires, textes de vulgarisation scientifique, sommes savantes (« Histoire de l’éducation en Côte d’Ivoire », en deux volumes, étant sans doute la plus ambitieuse écrite par ce Savoyard devenu montmartrois et resté résolument amoureux de l’Afrique où il séjourna longuement), essais littéraires audacieux (son « Cher Stendhal – Un pari sur la gloire » de 1999, notamment, fut fort estimé), ou encore analyses de curiosités linguistiques souvent oubliées.

« Le Pilon », s’il est naturellement très différent de ses écrits antérieurs, s’appuie en revanche sur la prodigieuse culture éclectique dont l’œuvre globale de Paul Desalmand témoigne. Écrit entièrement du point de vue d’un livre spécifique (et se démarquant donc ainsi du célèbre « Si par une nuit d’hiver un voyageur » d’Italo Calvino), livre parfaitement identifié dont même l’acte de naissance se révèle savoureux, livre qui vivra sa vie dans la crainte plus ou moins permanente de « finir au pilon », justement, du fait de diverses vicissitudes potentielles, le roman parcourt à la fois un ensemble d’attitudes possibles face à la littérature et à la lecture (on pourrait évoquer ici Vladimir Sorokine, même s’il n’est guère évident de rivaliser avec le degré de folie insufflé par l’auteur du « Lard bleu » dans son « Manaraga ») et un démontage en règle, passionné et caustique, des composants-clé de ce qu’il est convenu d’appeler « la chaîne du livre », naviguant habilement entre les fictions robustes telles que celle de Laurence Cossé (« Au bon roman », 2009), de Pierre Bourgeade (« L’empire des livres », 1989) ou de Régis de Sá Moreira (« Le libraire », 2004) et les documentaires engagés à la Olivier Bessard-Banquy (« L’industrie des lettres », 2009) ou, davantage encore, à la André Schiffrin (« L’édition sans éditeurs », 2000).

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En simplifiant beaucoup, il y a quatre façons d’être présent dans une librairie : en rayon, à plat sur une table, de face sur un présentoir ou en vitrine. Le tourniquet peut s’apparenter, selon les cas, au rayon ou au présentoir. La vitrine correspond à ces situations honorifiques qui ne rapportent rien. S’il existe d’autres exemplaires dans la librairie, nos couleurs vont même passer et nous avons toutes les chances de nous retrouver dans les retours ; le mieux étant encore d’être soldé. Seul sur un présentoir ? Un peu la même chose. Pour l’éditeur ou l’auteur, c’est le rêve puisque, pour être vendu, le livre doit être vu. Mais, pour nous, souvent, comme dans le cas précédent, le libraire ira chercher un autre exemplaire pour le lecteur intéressé par ce titre. On aguiche, mais pour d’autres. Être rangé dans un rayon ou dans un tourniquet, et vu seulement de dos, participe d’un autre univers. Celui qui cherche un livre dans un rayon est un chasseur ; celui qui parcourt du regard les livres à plat sur l’éventaire, un pêcheur. Le chasseur a en tête un titre, un auteur, parfois un thème. Le pêcheur ne sait pas trop ce qu’il veut.
Oui, être à plat sur une table s’apparente à la pêche, mais à une pêche paradoxale puisque c’est le poisson qui doit hameçonner le pêcheur. En principe, la situation en haut d’une pile, il n’y a pas mieux. Il faut nuancer tout de même. Le livre en haut de la pile est parfois un peu défraîchi à force d’avoir été manipulé, un petit pli marque la couverture, l’exemplaire bâille. Nous connaissons alors une situation cruelle. Le client ou la cliente nous prend en main, examine, lit, puis part à la caisse avec l’exemplaire du dessous, nous laissant là comme une promise longtemps fiancée qui voit le monsieur, au dernier moment, se décider pour une autre. Pourtant, cette situation en haut de la pile est celle que je préfère.

Livre savoureux, livre attachant, livre jouant avec grâce entre légèreté gentiment insoutenable et gravitas parfois nécessaire, « Le pilon » compte sans doute parmi les plus élégantes déclarations d’amour lucide à l’égard de la lecture, de la littérature et de celles et ceux qui lui permettent d’exister.

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À propos de Hugues

Un lecteur, un libraire, entre autres.

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