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Notes de lecture 2017

Note de lecture : « Un blues de coyote » (Christopher Moore)

La tortueuse et hilarante quête imprévue de ses origines d’un vendeur d’assurances prodige.

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Samuel Hunter s’affairait comme un beau diable dans son bureau, expédiait les appels téléphoniques, vérifiait les documents que vomissaient les imprimantes, tout en vociférant des instructions à sa secrétaire.
Pendant ce temps, dehors, de la poudre magique farinait le trottoir.
Sam débutait chaque jour par cette sarabande survoltée : il fonctionnait tel une machine, jusqu’à ce qu’il parte à son premier rendez-vous ou lance le démarcheur le plus approprié sur telle ou telle affaire.
Les gens qui connaissaient Sam le jugeaient travailleur, intelligent, et même sympathique ; soit exactement l’image qu’il souhaitait offrir de lui-même. Sur le plan professionnel, il croyait en lui et ses efforts s’avéraient payants. Il savait faire preuve de suffisamment d’humilité pour ne pas décontenancer ses vis-à-vis. Grand, mince, le sourire lui sautant sans cesse aux lèvres, on le disait aussi à l’aise en costume de coupe anglaise qu’en jeans, à discuter le bout de gras avec les pêcheurs des pontons de Santa Barbara. En fait, cette aisance avec laquelle Sam fascinait son entourage constituait, pour ceux qui le pratiquaient, sa seule et unique qualité dérangeante. Comment un type de cette trempe pouvait-il jouer tant de rôles à la perfection et toujours se sentir à sa place ? Quelque chose clochait. Était-il infréquentable ? Sûrement pas ! En fait, personne ne savait véritablement l’appréhender. Et c’est cela que Sam souhaitait ; persuadé qu’un débordement passionnel, d’envie ou même de colère, le conduirait à sa perte. Alors, il avait gommé toutes ces sortes d’émotions de son registre personnel pour se bâtir une existence équilibrée, étale, empreinte de certitudes.

Vivant dans un confort luxueux dans la douceur de Santa Barbara, Sam Hunter est devenu en quelques années l’associé incontournable et remarquablement doué de l’un des plus efficaces courtiers d’assurances de Los Angeles. Un jour presque comme les autres, alors qu’il se prépare à vendre un très gros contrat aux deux propriétaires d’une entreprise de plongée sous-marine, avec son mélange habituel d’agressivité cynique et de subtilité psychologique, les choses se mettent à tourner bizarrement. Sa machine commerciale pourtant extraordinairement rodée se grippe, sa vente échoue, et très vite, bien pire : après son départ, un Indien – que des témoins ont vu sortir auparavant de la voiture de Sam Hunter – agresse son prospect lui causant une peur bleue qui conduit la victime au bord de la crise cardiaque, ce qui pourrait vite conduire à un terrible procès, tandis que pendant ce temps, un énorme chien basé semble-t-il, au mépris de tous les règlements de copropriété, dans le propre appartement de Sam Hunter, saccage et terrorise les paisibles, richissimes et acariâtres retraités de la résidence, ce qui pourrait conduire le responsable à une ruineuse expulsion du lieu. Que se passe-t-il donc dans cette vie de prudence et et de succès, alors que le matin même, Sam a croisé une jeune fille qui – fait rarissime chez lui – semble lui avoir inspiré quelque chose ?

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Une trentaine de ses voisins, apparemment fort remontés, attendaient Sam devant sa porte d’entrée.
– Le voilà ! cria l’un d’eux en montrant du doigt Sam et Spagnola.
Un court instant Sam remercia le ciel de la présence de Spagnola à ses côtés. Et à propos de côté, Spagnola portait un .38 spécial sur le sien?
L’ex-cambrioleur se pencha à l’oreille de Sam :
– Tu ne dis rien, compris ? Pas un mot. Sinon ça va tourner vinaigre… sans compter que dans le lot j’ai déjà repéré deux avocats.
Spagnola, tel le Sauveur, leva les bras au ciel et s’avança vers la foule.
– Mesdames et Messieurs ! Je sais que vous êtes en colère mais si l’on veut régler ce petit différend à l’amiable, il importe que M. Hunter reste en vie, d’accord ?
– T’es vraiment trop bon, lui souffla Sam.
– Y a pas de quoi, répondit Josh, ils n’ont jamais vraiment eu l’idée de te lyncher. Je vais m’arranger pour les culpabiliser et les faire rebrousser chemin. Ça se fait plus guère de lyncher les gens. Paraît que c’est politiquement incorrect, comme ils disent.
Spagnola se tut et demeura immobile, Sam à ses côtés. Comme si le chef de la Sécurité eût réglé cette chorégraphie, les gens commencèrent à regarder dans le vague, à éviter de croiser le regard des autres, à s’éloigner tout doucement, tête basse.
– C’est vraiment surprenant, fit Sam à Spagnola.
– Y a rien de surprenant dans tout cela. C’est tout simplement que pendant des années j’ai gagné ma croûte en étudiant le comportement des gens comme eux. Aujourd’hui je m’intéresse au comportement des voleurs, c’est tout. C’est exactement le même business. En moins dangereux. Bon ! Tu veux entrer le premier ?
– Euh… c’est toi qu’as le pétard.
– Tu m’attends ici, alors.

 

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Le deuxième roman de Christopher Moore, publié en 1994 et traduit en français en 1999 par Luc Baranger à la Série Noire de Gallimard, est peut-être, sous ses airs violemment farceurs et volontiers déjantés, l’une des plus décapantes fictions mettant en scène ce qui reste des Indiens d’Amérique dans les États-Unis contemporains, pour le meilleur et pour le pire. Mixant à la perfection le matériau glacialement revendicatif qui sous-tend aussi bien le film « Cœur de tonnerre » (1992) de Michael Apted que, plus discrètement, la vaste série navajo de Tony Hillerman (1970-2006), y appliquant un humour noir et cynique potentiellement dévastateur et l’accommodant avec jubilation de touches de surnaturel paillard dont Neil Gaiman saura se souvenir pour échafauder à grande échelle son « American Gods », Christopher Moore utilise son principal protagoniste et son cheminement comme les formidables chevilles ouvrières d’une revue de détail de ce qui pêche, au fond, dans le mode de vie forcené du capitalisme américain, qu’il soit habillé en cadre dirigeant confortable, en Hell’s Angel ou en marchand de faux hasard. Foncièrement hilarant, caustique et beaucoup plus rusé qu’il n’y paraît, « Un blues de coyote » est un roman qui marque.

Autrefois, du temps où il y avait encore des bisons sauvages, un prophète cheyenne, du nom de Médecine Douce, avait eu la vision d’hommes barbus et moustachus, utilisateurs d’un sable blanc qui deviendrait un véritable poison pour les Indiens. La prophétie s’était hélas réalisée. Le sable blanc n’était autre que du sucre et Adeline maudissait les Blancs de lui avoir fait découvrir la substance qui l’avait conduite à afficher un bon quintal sur la bascule.

C’est Jean-Luc André d’Asciano, des éditions de l’Œil d’Or, qui nous avait vanté les charmes de ce roman aussi hilarant que rusé, lorsqu’il était venu en libraire d’un soir à la librairie Charybde en août 2014 (on peut écouter la soirée ici). Ce n’était certainement pas une coïncidence, puisqu’il édite à présent, en septembre 2017, « Fou ! », un récent ouvrage du même auteur, dont je vous parlerai prochainement.

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À propos de Hugues

Un lecteur, un libraire, entre autres.

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