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Notes de lecture 2016, Nouveautés

Note de lecture : « Marcher droit, tourner en rond » (Emmanuel Venet)

Le drôle de cauchemar d’une vie sans mensonge.

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«Je ne comprendrai jamais pourquoi, lors des cérémonies de funérailles, on essaie de nous faire croire qu’il y a une vie après la mort et que le défunt n’avait, de son vivant, que des qualités.»

Ainsi débute le roman d’Emmanuel Venet, publié en août 2016 aux éditions Verdier, savoureux monologue intérieur d’un narrateur atteint d’un syndrome d’Asperger, syndrome qui le contraint à une absolue franchise. Assistant aux funérailles de sa grand-mère, il est donc exaspéré par l’écart entre les propos élogieux de l’oraison funèbre et la réalité.

«Quoiqu’en disent mes tantes, je n’ai jamais prétendu qu’il faille déballer les turpitudes et les secrets familiaux aux cérémonies d’obsèques, je plaide simplement pour une évocation plus rigoureuse du disparu.»

La franchise à laquelle cet homme ne peut déroger sert d’ouvre-boîte de Pandore et permet de révéler au fil du roman les travers des femmes de la famille et les secrets enfouis, enfants illégitimes, homosexualité, relations adultères, alcoolisme, dépression ou soupçons d’inceste, en même temps que les couches de mensonges dont ceux-ci ont été recouverts.

«Avec la maturité, j’ai fini par saisir que, dans son obéissance aveugle au onzième commandement, ma tante Solange aime l’humanité entière, mais avec une indéfectible préférence pour les délirants mystiques, les pervers sexuels et les marginaux criminels. Lorsqu’elle dit de quelqu’un qu’il est «remarquablement équilibré», cela signifie que cette personne peut soutenir une conversation d’un quart d’heure malgré un lourd traitement neuroleptique ou des crises d’hystérie récurrentes. En revanche, si elle décrit quelqu’un comme «un peu perturbé», il y a tout lieu de craindre que cette personne soit hospitalisée en chambre de force, ou incarcérée de longue date, ou encore clochardisée dans un squat au milieu de junkies sans foi ni loi.»

Par contraste avec les mégères mesquines et dissimulatrices de sa famille – la grand-mère Marguerite, emblématique de l’égoïsme et du racisme ordinaires, la dévote et pathétique tante Solange, la tante Lorraine, infatigable affabulatrice, la frivole et vénale cousine Christelle -, en réalité des harpies tout à fait banales, la seule qui trouve grâce aux yeux du narrateur est Sophie Sylvestre, objet de son amour en compagnie de ses deux autres passions exclusives, le scrabble et les recherches sur les catastrophes aériennes. Lorsqu’il cesse de s’indigner contre les propos flatteurs des membres de sa famille pour tomber dans la rêverie, il imagine filer un amour parfait et romantique avec cette femme rencontrée lors de ses années au lycée, une passion fantasmée particulièrement cocasse.

Ruminations intérieures d’un fou solitaire face à une tombe, le cinquième texte d’Emmanuel Venet est en réalité une merveille d’humour, où la drôlerie se niche partout, dans le décalage entre l’intelligence rationnelle et l’incapacité émotionnelle du narrateur, tournant en dérision avec le plus grand sérieux les travers de ses proches, et par extension de la société contemporaine (fascination pour la célébrité ou les faits divers, délectation légèrement perverse du malheur d’autrui, décalage entre les opinions politiques ou religieuses et les comportements…), dans l’habileté de ce fou clairvoyant à détecter et déjouer les moisissures argumentatives des femmes de sa famille, ou encore dans les clichés romantiques des commencements rêvés de son amour avec Sophie Sylvestre.

«Au fond je n’aime pas les cérémonies de funérailles parce que leurs tissus de mensonges me ramènent à la vraie vie, dont je me protège activement en évitant la radio et la télévision, et en ne lisant la presse qu’avec d’infinies précautions. Lorsque je me laisse atteindre par le bombardement médiatique de demi-vérités, de trucages, d’amalgames et de bobards éhontés, je me sens vivre au cœur d’un labyrinthe dont rien ne me prouve qu’il possède une issue.»

Tout en titillant nos zygomatiques, Emmanuel Venet souligne que la vérité intransigeante est du sel sur la plaie, et ne mène nulle part sans doute, sauf à tourner en rond.

Ce qu’en dit Emmanuel Requette de la librairie Ptyx est ici.

Nous l’avions déjà accueilli en 2014 pour la parution de «Rien», soirée pendant laquelle nous avions aussi évoqué ces précédents livres «Précis de médecine imaginaire» et «Ferdière, psychiatre d’Antonin Artaud» et nous aurons la joie d’accueillir à nouveau Emmanuel Venet pour fêter la parution de ce roman-ci le 13 octobre prochain en soirée à la librairie Charybde.

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® Emmanuel Venet. ESO

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Discussion

8 réflexions sur “Note de lecture : « Marcher droit, tourner en rond » (Emmanuel Venet)

  1. Ou de la prétention des autres, les neurotypiques de ne pas tourner en rond avec leurs mensonges et accommodements.

    Publié par Philippe GRANGIER | 18 octobre 2016, 18:17

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