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Notes de lecture 2020

Note de lecture : « Snoopy Theory » (Nicolas Tellop)

Sans doute encore plus célèbre dans le monde que Milou et Idéfix, le petit chien philosophe du quotidien, du lointain et de l’imaginaire, dans toute sa splendeur conceptuelle.

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« Il ne pensait pas.
Il aboyait et galopait à quatre pattes.
C’était un adorable petit chiot.
Je ne sais pas comment
il en est venu à marcher, à penser
mais c’est certainement une de
mes meilleurs trouvailles. »
Charles M. Schulz

Lui, c’est Snoopy. C’est son histoire, telle qu’elle est résumée par son créateur, une petite quarantaine d’années après sa naissance.
Lorsque Charles M. Schulz lance les Peanuts en 1950, il a 28 ans et il ignore encore que son destin va être irrémédiablement lié avec ce petit théâtre de papier conçu pour le United Feature Syndicate. Au cours des trois années précédentes, il avait commencé par animer une série prototype, Li’l Folks, dans le Saint Paul Pioneer Press. Peanuts en est directement issu. Les enfants qui y sont mis en scène possèdent déjà cette hauteur de vue décalée et pourtant si juste sur la réalité. Ils portent également, sous une fine couche d’humour, toute l’indéfinissable mélancolie dont Schulz a le secret. Parmi ces Li’l Folks, un garçon s’appelle d’ailleurs Charlie Brown et son chien ressemble étrangement à Snoopy. Alors que le United Feature Syndicate lui signale son intérêt pour cette série, le dessinateur affine le concept et les personnages. Aussitôt, l’agence de presse parvient à vendre le strip à sept grands quotidiens nationaux. L’auteur souhaitait conserver le titre précédent, et c’est sous ce nom que le strip est annoncé aux États-Unis, comme « le plus grand événement depuis Tom Pouce… » Mais Li’l Folks est déjà une marque déposée. Un responsable du United Feature Syndicate, William Anderson, imagine dans la précipitation la solution que nous connaissons si bien aujourd’hui. Schulz pensait qu’avec un nom pareil, sa série n’avait aucun avenir. Et pourtant, le phénomène était lancé.

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Nicolas Tellop, auteur de nombreux articles sur la bande dessinée et sur la pop culture, commissaire d’exposition pour le Festival d’Angoulême, nous avait déjà offert ici une superbe analyse du Suprême re-scénarisé par Alan Moore, dans l’ouvrage collectif « Vies et morts des super-héros » orchestré par Laurent de Sutter. Avec ce « Snoopy Theory », il nous propose en à peine une soixante pages une belle expédition d’érudition, d’intelligence et de sensibilité au coeur d’une magie toujours difficile à appréhender, celle du comic strip Peanuts de Charles M. Schulz en général, celle de son petit chien, héros et héraut, en particulier. Très riche factuellement, en ayant intégré habilement les amples matériaux fournis par la biographie de David Michaelis (2008) et par l’analyse artistique de Kidd Chip (2015), il a su construire une belle approche historique, poétique et spéculative, développant et amplifiant l’angle proposé en son temps par Umberto Eco dans son article de 1985 dans la New York Review of Books. Nicolas Tellop signait ainsi en 2018 une belle réussite au sein de la collection Borderline des éditions le murmure (dont il faut absolument rappeler qu’elles ont tout particulièrement besoin de votre soutien actuellement, ayant été spécialement malmenées par la crise sanitaire), aux côtés par exemple de « L’adolescente japonaise » de Stéphane du Mesnildot, du « Real Niggaz Don’t Die ! Grand Theft Auto : San Andreas entre récit et jeu » de Samuel Archibald, ou du « Invasion zombie » d’Antonio Dominguez Leiva.

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D’abord protagoniste plus ou moins secondaire des aventures de son jeune maître Charlie Brown et de ses amis, Snoopy a peu à peu conquis ses galons d’icône. Cet « adorable petit chiot » est sûrement le meilleur ambassadeur des Peanuts, l’un des principaux responsables de son extraordinaire popularité. En dehors des USA, comme en France, par exemple, le titre de la série est réduit à son seul nom, comme un étendard. C’est d’abord Snoopy, et seulement ensuite les Peanuts. Il faut dire que lorsqu’il commence à être traduit à l’international, presque dix ans après sa création, le strip s’est presque réorganisé autour de Snoopy, figure à la notoriété grandissante, personnage inclassable et au pouvoir de séduction immédiat. Tout le monde aime le petit chien. Partant de là, tout le monde aime le comic strip de Schulz. Peanuts n’est pourtant pas une bande dessinée évidente : sa beauté et sa poésie ne s’offrent pas si facilement au lecteur ; elles se révèlent, parfois imperceptiblement, graduellement, lentement, plus qu’elles ne s’imposent. Si la plupart des strips ne font pas vraiment rire, tous laissent rêveur – tous résonnent en nous longtemps après la lecture. L’art de Schulz s’infuse, s’apprécie d’autant mieux par une fréquentation assidue, régulière, qui laisse aux péripéties le temps de vieillir et de se charger de sens. L’auteur a eu à coeur dès le départ de créer une oeuvre riche et subtile, et ce n’est pas un hasard si son modèle a toujours été Krazy Kat de George Herriman, série cérébrale et magnifique dont l’ombre plane sur le monde enfantin des Peanuts. Or, Snoopy est cette ombre. Il est l’expression de ce qui fascine tant dans le travail de Schulz et qu’il est si difficile de définir.

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À propos de Hugues

Un lecteur, un libraire, entre autres.

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