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Notes de lecture 2018, Nouveautés

Note de lecture : « J.J. Abrams ou l’éternel recommencement » (Erwan Desbois)

Une incisive et subtile monographie à propos de J.J. Abrams et de ses créations.

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Sauter dans le futur tout en restant obnubilé par le passé, voici une attitude symptomatique de nos sociétés modernes où coexistent, d’une part, l’attrait toujours plus grand pour la technologie et, de l’autre, une omniprésence de la nostalgie et du besoin de retrouver les émotions de notre enfance. Abrams souligne ouvertement ce trait contemporain en plaçant cette fascination pour le mythe que représente Star Wars au cœur des motivations et agissements des personnages du Réveil de la Force. Ces derniers, au même titre que les spectateurs du film, ont, enfants, été bercés par les légendes des Jedi. Eux aussi « jouent à Star Wars » et rêvent de s’en réapproprier les références.

Créateur des séries télévisées « Alias », « Lost » et « Fringe », producteur de plusieurs autres, réalisateur de « Mission impossible 3 », de « Star Trek » (celui de 2009), de « Super 8 » et du « Réveil de la Force », producteur exécutif de nombreux autres blockbusters, J.J. Abrams, après un début de carrière éclectique impliquant pas mal de « script doctoring » à Hollywood, s’est imposé en une quinzaine d’années comme un acteur majeur de la création cinématographique et télévisuelle contemporaine, traçant un chemin singulier qui le rend désormais quasiment comparable à ses idoles de jeunesse Steven Spielberg et George Lucas. En parcourant et analysant une bonne partie des œuvres qu’il a créées, inspirées ou accompagnées de près, c’est à la compréhension d’un faisceau de lignes créatives personnelles et de la mécanique d’appropriation d’un corpus technique et imaginaire que s’est attelé avec brio Erwan Desbois, dans cette monographie d’une centaine de pages, publiée en octobre 2017 chez Playlist Society, jeune et affûté éditeur se consacrant aux essais de cinéma, de musique et de littérature.

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« Peu importe ce qu’il deviendra en grandissant, c’est une faute que de laisser mourir un enfant », affirme Kate, faisant preuve d’une exigence morale où rien n’est jamais condamné par anticipation, tel un écho au Minority Report de Spielberg.
Lost est habitée par la conviction que l’humanité a droit au libre arbitre, à l’amour et à la rédemption : des valeurs positives que rien ne peut venir balayer. À l’heure du bilan, il apparaît qu’il n’y a jamais eu de méchants dans la série, mais uniquement des êtres imparfaits tentant de faire au mieux avec les cartes qui leur ont été distribuées. À partir de la saison 4, Lost deviendra d’ailleurs la série des fondus au blanc, choix chromatique symbolisant comment chaque étape majeure franchie rapproche d’un dénouement positif.

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On se souvient bien entendu des pages magnifiques que Pacôme Thiellement consacre à la série « Lost » (dans « Les mêmes yeux que Lost » en 2011 et dans « Pop yoga » en 2013) : l’approche retenue par Erwan Desbois est sans doute moins puissamment thématique, mais se concentre joliment sur les ressorts narratifs et sur les récits mis en œuvre par J.J. Abrams pour dégager avec habileté et profondeur ce qui fait oeuvre, précisément, chez lui, par-delà les formes techniques désormais extrêmement variées que peut prendre la production qu’il élabore ou qu’il influence décisivement. Que l’on ait soi-même en tant que spectateur visionné une part importante de ce corpus, ou que l’on n’en connaisse uniquement quelques extraits, l’analyse demeure passionnante, et donne envie d’en voir et savoir davantage – ce qui n’est pas le moindre mérite, en évitant d’ailleurs – dans l’ensemble – de nombreux spoilers inutiles, d’un ouvrage critique consacré à une filmographie déjà abondante et de plus en plus installée, sans avoir renié les moteurs expérimentaux et fondamentalement curieux de ses débuts les plus spectaculaires. Un essai à recommander sans aucune hésitation.

Ses récits prennent des êtres malheureux qu’il rend meilleurs, en ayant constamment recours au même outil, le reset. Au cinéma et à la télévision, ce terme signifie aujourd’hui le fait de reprendre depuis son point de départ une histoire précédemment exploitée dans une série, un film ou une franchise. Abrams revient à sa définition première : la remise à zéro d’une ou plusieurs variables d’une situation ou d’un programme. Les programmes d’Abrams sont ses récits, et les variables qu’il remet à zéro composent l’environnement de ses protagonistes. En éprouvant ce qui fonde leur identité, leurs convictions, il cherche la réponse à la question : qu’est-ce qui reste constant chez un individu lorsque tout ce qui l’entoure est chamboulé ? Abrams manipule les variables dans le but de révéler les constantes. La réinitialisation du parcours de ses personnages fera de ces derniers les acteurs de la refondation de leur existence, sous une forme plus accomplie, plus juste que la précédente.

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À propos de Hugues

Un lecteur, un libraire, entre autres.

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