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Notes de lecture 2017, Nouveautés

Note de lecture : « Fief » (David Lopez)

L’étonnant langage, actif et tranquille, d’une poésie des horizons bouchés.

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C’est un nuage qui m’accueille. Quand j’ouvre la porte je vois couler sous le plafonnier cette nappe brune, épaisse, et puis eux, qui baignent dedans. Ixe, ça ne le dérange pas qu’on fume chez lui, du moment qu’on ne fume pas de clopes. Je le regarde, entre lui et moi c’est presque opaque. Il plane dans le brouillard. On est bien reçus chez toi, je dis. Je n’ai pas le temps d’ajouter quoi que ce soit que déjà il me pose sa question rituelle. Tu veux rouler ? Je dis oui.

Une petite ville. Environ quinze mille habitants. À cinquante kilomètres peut-être d’une grande ville, qui a déjà tout d’un autre monde, pour Jonas et ses amis d’enfance, Ixe, Poto, Sucré, Miskine, Untel, Lahuiss, enfants pauvres des zones pavillonnaires, coincés depuis toujours entre la petite bourgeoisie locale, avec son centre ville et sa colline presque luxueuse, et les deux véritables cités du coin. Entre manque de perspectives et manque d’énergie, les années ont passé, le lycée, lointain et déjà exigeant, n’a guère été possible, le manque de qualification s’est imposé, l’intérim à répétition et les petits trafics sont devenus le paysage ordinaire. Hors du deal et de la prison qui en occupe fatalement l’horizon, tôt ou tard, les journées passent à traîner, tranquilles, entre potes, entre drogues récréatives et jeux de cartes. Seule échappatoire pour Jonas : la boxe, pour laquelle il semble vraiment doué – mais le jeu en vaut-il la chandelle ?

On reprend la culture physique en insistant sur l’élasticité du buste. C’est grâce à ça qu’on fait de bonnes esquives. Jambes écartées, plante des pieds vissée au sol et genoux légèrement fléchis, on dessine un cercle avec la tête en tournant le corps depuis le bassin. On alterne avec la version latérale du geste, en se tenant droit et en allant toucher le genou avec la main. Et puis on met de la cadence. Moi je suis bon à ça, je ne m’arrête que quand je vois que les autres sont à la peine, pourtant j’aimerais voir ce que ça donne de continuer jusqu’à ne plus tenir debout, pétri de douleur. Encore que je ne fasse pas partie des plus assoiffés de souffrance ici. Virgil, par exemple, c’est une bête, un monstre de résilience. Elle est là, ma limite. C’est pour ça que je mets fin à la culture physique juste avant que ça commence à tirer.

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Le premier roman de David Lopez, « Fief », est paru en août 2017 au Seuil. Saisissant avec une belle finesse les injonctions contradictoires de la réussite sociale et de la fidélité à son milieu, il réussit à rendre résolument passionnant l’ennui qui irrigue le quotidien de ses personnages, et à en extraire – par la puissance de l’écriture et du langage, personnage ici à part entière – une étonnante et délicate magie sous la violence sociale omniprésente, mais domesticable de plus d’une manière.

C’est une avenue bordée de bouleaux et de pavillons qui se ressemblent. Il fait nuit déjà, mais le chemin est balisé de lampadaires à la lumière orange. On y voit clair. Ça implique que si une patrouille passe il vaut mieux qu’elle ait des choses à faire, puisqu’en général quand on se fait contrôler comme ça inopinément, c’est parce qu’ils s’ennuient les mecs. j’ai un vingt balles dans le slibar, entre le pénis et les couilles. Il est bien calé. Il paraît que maintenant les flics viennent fouiller à. Je n’ai pas très envie de me retrouver le cul à l’air devant un type muni d’une lampe torche. Alors j’accélère un peu le pas, et je retire ma capuche.

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On songera peut-être aux tableaux développés par Charles Robinson pour ses « Dans les cités » et « Fabrication de la guerre civile », ou par Cloé Korman pour ses « Saisons de Louveplaine », mais David Lopez explore en réalité un no man’s land subtilement différent. Entre l’ordinaire, inventif ou répétitif selon les moments, de la vanne permanente entre potes, la routine éventuellement fort sérieuse du jeu de la carte, les petits projets sans espace, et le flux incessant du langage, flot du rappeur parmi eux, commentaire voltairien improvisé par le plus lettré de la bande (qui a franchi, lui, par le scolaire, la barrière vers le « haut », tout en gardant suffisamment de ses racines pour pouvoir encore figurer), concours d’orthographe hilarant avec dictée célinienne improvisée, et en imposant le rythme de l’entraînement et du combat de boxe, mais aussi du sexe secret et de la virée nocturne, David Lopez invente à sa ville natale de Nemours, sans jamais la citer, une magnifique et troublante légende contemporaine, une curieuse gravité de l’insouciance, une insidieuse poésie des horizons bouchés.

On passe la véranda, un store cassé pend du haut de la vitre jusqu’à toucher le sol, et on arrive dehors où une petite terrasse précède un jardin tout en longueur. Derrière c’est comme devant. Ce Romain est soit une feignasse soit un putain d’amoureux de la nature. Sur la gauche, là où se dirige Ixe, un espace semble pourtant aménagé. Il a construit un cabanon aux parois grillagées qui contient un buisson. Il attrape l’extrémité d’une branche passée à travers le grillage, regarde-moi ça il dit, et je vois une grosse tête d’herbe bien compacte, dense, et grasse au toucher. On dirait un mini sapin de Noël. Je fais oh putain, et lui il se met à rire, il est tout excité. Il commence à m’expliquer des trucs sur la floraison, les branches, les boutures, les engrais. Dans ce qu’il dit il y a le mot compact qui ressort souvent, et il insiste bien dessus. Il ajoute qu’il lui parle à sa plante, c’est pour ça qu’il ne pouvait pas venir m’ouvrir.
On reste un peu dehors à contempler le buisson. Il dit que ce n’est pas pour faire un billet, que c’est pour nous. Je dis c’est cool, et je lui demande si je peux tirer une latte sur le joint qu’il a subtilisé. Chargé le spliff. Et c’est qui ce Romain alors, je demande. C’est un pote de Poto au départ. Il vit seul dans cette maison, depuis que ses parents sont morts. On ne sait pas de quoi, simplement que c’est arrivé l’année dernière. Je dis merde. Et ça le gêne pas que tu plantes chez lui ? Il dit non, lui il est content, j’avoue je profite un peu mais je vais le mettre bien, c’est un bon gars le p’tit. Je hoche la tête. Ixe ce n’est pas le genre à profiter des gens. Pas comme Untel. Et toi ça va ? je demande. Il répond gros, toujours la même merde, j’ai envie de m’casser, voir autre chose, j’te jure j’en peux plus, mais bon, que veux-tu. Je dis ouais dans un soupir et il jette la fin du joint par terre.

David Lopez sera à la librairie Charybde (129 rue de Charenton 75012 Paris) le mercredi 18 octobre à partir de 19 h 30.

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Discussion

9 réflexions sur “Note de lecture : « Fief » (David Lopez)

  1. un seul mot pour le qualifier bof

    de l’écriture pour bobos par un bobo, sans grand intérêt, si ce n’est de procurer l’impression de dé-frustration.

    pauvres arbres sacrifiés

    Publié par jlv.livres | 4 octobre 2017, 07:50

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