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Notes de lecture 2013

Note de lecture : « Équatoria » (Patrick Deville)

Parcours de l’Afrique centrale contemporaine sur les traces mythiques de Savorgnan de Brazza.

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Publié en 2009, le huitième livre de Patrick Deville (et son deuxième au Seuil) prend cette fois les traces de l’atypique explorateur franco-italien Savorgnan de Brazza, dont l’audace, qui en fit le seul vrai « rival », à l’époque, de Stanley, et la posture résolument anti-esclavagiste (à l’instar d’un David Livingstone) servent de prétextes bienvenus à l’auteur pour explorer l’Afrique centrale historique et contemporaine, de la minuscule île de Sao Tomé et Principe, avec son héritage marxiste et ses révolutions de palais, aux grands lacs (tout particulièrement le lac Tanganyika et sa situation unique de point de rencontre (beaucoup plus que Fachoda en réalité) des ambitions coloniales du XIXème siècle pourrissant, lorsque les colonnes anglaises, françaises, allemandes et belges convergeaient vers ses rives, ou encore aux rivages de Zanzibar, de ses survivances tardives de la traite et de l’esclavage sous l’égide des sultans de Mascate jusqu’à la sanglante révolution de 1964 et à la fusion politique donnant naissance à la moderne Tanzanie, en passant par l’Angola et le Congo des guérillas marxistes et au bref passage de Che Guevara au coeur des années 60.

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« Le lendemain nous sommes à la gare d’Owendo, passons au terminal où Ali part régler ses affaires poissonnières. Au quai du port en eaux profondes, le Caroline-Delmas, immatriculé à Port-aux-Français dans les Kerguelen, effectue des travaux de peinture après avoir livré sa cargaison de céréales. Nous roulons lentement sur les quais, comme deux flics à l’avant de la Toyota noire, le gros Black avec ses bagouzes en or et le Blanc avec des stylos dans la pochette de sa chemise, genre de couple si souvent vu au cinéma qu’on sait sur tous les quais du monde que ces deux-là, mieux vaut ne pas trop les emmerder. Très à l’écart, à bord d’un chalutier chinois qu’on dirait hors d’usage et qui ne l’est pas, des Chinois en loques, sales et fatigués, le plus loin possible de chez eux, au milieu de la rouille et de l’huile dans quoi patauge et dérape un chien jaune qui aboie à notre approche. Les hommes débarquent des cartons de poisson congelé qu’on empile à l’arrière d’une camionnette frigorifique, sous le cntrôle d’Ali et d’un mareyeur chinois cravaté. Les damnés de la terre peuvent reprendre la mer. »

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« Le Miramar est l’ancien hôtel des conseillers cubains à l’époque de la Guerre froide, pendant laquelle le paradis appartenait au bloc marxiste-léniniste. À seule fin de ne pas mener sur le coup d’État une enquête trop effrénée, laquelle ne manquerait pas d’attirer sur moi l’attention des autorités, je rejoins comme un havre le Baron qui est le bar de l’hôtel. Ce baron-là n’est pas rouge. Peut-être fut-il repeint après la chute du Mur. C’est surtout dans les aéroports, celui de Mexico comme celui de Stuttgart, qu’on ouvre des Barons rouges. Signalons un autre Baron tout court à Alep dans le nord de la Syrie, où le futur Lawrence d’Arabie, encore vêtu de l’uniforme réglementaire, fréquentait ces bars à whisky au sol de marbres et boiseries sombres où officient, avec un scepticisme hopperien, des barmen à nœud papillon et gilet rayé. On aime à mener en ces lieux des conversations sur les antipodes, l’éventuelle prise du pouvoir dans quelque île lointaine, la navigation à voile et l’ornithologie. »

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Le grand talent de l’écrivain-voyageur, sa capacité assez rare à associer les mises en perspective de la « grande histoire » et les anecdotes de la « petite histoire », s’expriment ici pleinement, avec peut-être toutefois un poil moins de brio que dans son « Kampuchea » qui suivra.

Moins caustique que l’excellent « Congo » d’Éric Vuillard, cet « Équatoria » fournit aussi un bien utile contrepoint, infiniment plus passionnant et authentique, au complaisant et laborieux « Congo, une histoire » de David Van Reybrouck.

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À propos de Hugues

Un lecteur, un libraire, entre autres.

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