☀︎
Notes de lecture 2022, Nouveautés

Note de lecture : « Laqué » (Guillaume Couty)

En 75 pages, une hilarante géopolitique culinaire de la subtile vengeance conjugale. Avec un goût inimitable de canard laqué, bien sûr.

x

9782919285310-475x500-2

Monsieur,
Le courrier que vous avez adressé au maire de Paris le 8 mai dernier lui est bien parvenu. Il en a pris connaissance avec attention et m’a demandé d’étudier avec la plus grande précision l’affaire que vous avez bien voulu lui soumettre.
Dans l’espoir de vous aider dans vos démarches, j’ai effectué les recherches juridiques et scientifiques les plus poussées, prenant conseil au nom du maire de Paris auprès des plus éminents spécialistes de ces questions. Malheureusement, il me revient de vous informer que votre demande n’est pas recevable. En effet, dans l’état actuel des connaissances scientifiques, il apparaît qu’un voyage dans le temps n’est pas envisageable à moyen terme. Aussi, malgré l’intérêt que le maire porte à vos travaux pour la construction d’un véhicule permettant de se projeter dans les couloirs du temps, il ne lui sera pas possible de proposer le vote d’une subvention de huit cents milliards de dollars américains, ainsi que votre courrier en faisait la demande. Je me permets par ailleurs de vous indiquer, à titre d’information, que l’intégralité du budget annuel de la ville de Paris ne suffirait pas à pourvoir une telle subvention. Le maire souhaite cependant vous faire part de ses chaleureux encouragements.
Je vous prie de croire, cher monsieur, à l’assurance de mes sentiments les meilleurs.

Jeune fonctionnaire municipal, Lucas est chargé de répondre aux « courriers imbéciles » adressés à la Mairie de Paris. Lucie, à peine à la sortie de ses études, assure en simple stagiaire en agence la communication de diverses associations. M. Hu préside une association de développement économique franco-chinoise, pour laquelle travaille l’agence de Lucie. Pilier de bistrot, Graveur est un militaire retraité, dont on ne saura pas d’abord (ni même ensuite) s’il a réellement côtoyé les forces spéciales ou s’il a un penchant mythomane s’épanouissant avec l’âge. On doit encore ajouter – c’est important pour la parfaite réussite du cocktail – un haut conseiller de l’ambassade de Chine à Paris, une co-locataire de Lucie, une voisine de palier de Graveur et . Ce casting hautement improbable et totalement réjouissant est pourtant bien celui qui va se retrouver mêlé, dans et autour de l’Hôtel de Ville de Paris, à un surprenant mélange de casse du siècle, d’attentat gastronomique, de vengeance conjugale et de passe d’armes géopolitique.

Lucie n’est jamais vraiment là où l’on se trouve avec elle. Immobile, elle n’est pas stable. Son regard se pose dans le vôtre en regardant ailleurs, au travers, de l’autre côté en fait. Prenez un verre avec elle, parlez-lui, dites-lui qu’elle est belle, essayez de la séduire, elle rit par habitude, se dandine par réflexe, pétille sans s’en apercevoir, mais elle est déjà plus loin, plus tard. Elle semble entendre ce qu’elle écoute avec un décalage. En avance, presque. Vous êtes comme en duplex depuis une partie du monde mal couverte par le réseau satellitaire. Sous ses pieds la terre penche, incitant son corps à suivre un pente mystérieuse sur laquelle elle coule imperceptiblement plus vite que vous vers les secondes qui suivent. L’émanation est indéfinissable, mais elle désespère tous ceux qui l’approchent de trop près et qui seront rapidement distancés.

Il faut un talent bien particulier pour parvenir à insuffler la juste dose d’humour, de farce et, néanmoins, de discrète méditation littéraire et politique dans le maniement des clichés et des types qui hantent nos imaginaires, livresques et filmiques tout notamment. Comme Steven Soderbergh dans sa série des « Ocean’s » (on pensera surtout, vous le lirez, à l’opus 12 avec sa mission initiale à Amsterdam), comme Michel Hazanavicius dans ses deux « OSS 117 », Guillaume Couty, avec ce « Laqué » publié chez Antidata en septembre 2022, connaît la bonne manière d’ajuster les ingrédients pour rendre délectable ce mets si spécifique. Comme le Pierre Barrault de « L’aide à l’emploi » ou de « Protag », il s’agit aussi ici de manier des registres linguistiques parodiques et soigneusement intriqués (à l’image du bref monologue intérieur de M. Hu cité ci-dessous) pour que le télescopage des figures faussement ordinaires et des personnages devenus soudain grandiosement baroques s’inscrive, à merveille, dans une réalité décalée qui use de chaque petit interstice laissé libre par le réel et par l’attente automatisée de la lectrice ou du lecteur. Et c’est par ce brio étourdissant que sera bien in fine révélé le rôle exact d »un canard laqué décidément pas comme les autres.

Hu est reconduit. Il sait que cette histoire ne lui laissera pas de répit. Il a bien compris que son devoir était de remplir l’objectif fixé et que les moyens employés ne seront jugés valables que si le but est atteint. Il a surtout conscience que, dans le cas contraire, il se retrouvera pris dans un cheminement dont seules les instances de son pays possèdent le plan.

x

Unknown

Logo Achat

À propos de Hugues

Un lecteur, un libraire, entre autres.

Discussion

Rétroliens/Pings

  1. Pingback: Note de lecture : « Stand-by  (Collectif) | «Charybde 27 : le Blog - 30 août 2023

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.

Archives