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Notes de lecture 2022, Nouveautés

Note de lecture : « Mine de rien » (Rim Battal)

Éclatante, une somme provisoire d’extraits de la poésie incisive, ironique, cruelle et joueuse de Rim Battal au cours de ces sept dernières années.

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Battal

Publié en février 2022 au Castor Astral avec une superbe préface d’Arthur H, ce petit livre de poche reprend de larges extraits de la poésie de Rim Battal déjà publiée dans « Vingt poèmes et des poussières » (2015), « Latex » (2017) et « Transport commun » (2019) aux éditions Lanskine, ainsi que dans « L’eau du bain » (2019) aux éditions Supernova, comme dans « Les quatrains de l’all-inclusive » au Castor Astral déjà, et y ajoute de précieux et redoutables inédits (ou presque inédits, certains textes ayant pu se glisser dans une récente anthologie collective), regroupés sous le titre joueur et signifiant « Embrasser avec la langue ».

Tentative de comprendre  : de la mort comme expropriation. Comme arrachement au corps, habitat primaire de ce qui est communément admis comme l’âme. Le shopping comme palliatif. L’addiction de ma mère au shopping, par exemple, est l’espoir de conjurer sa mort – qu’elle estime – prochaine, imminente. Longtemps j’ai cru qu’il s’agissait de panser une misère sexuelle ou la séparation avec ses enfants. Moi d’abord. Mais il s’agit plutôt de s’attacher, bec et ongles, à des choses matérielles, s’accrocher à, planter des pics, mordre à pleine bouche la terre, sa surface pour esquiver le trou, se lester, jeter des ancres : les habits, les torchons, les éponges, les passoires, les casseroles, les vernis à ongles, les habits pour les bébés, les nouvelles lampes, le nouveau canapé, le nouveau tapis, le nouveau caftan. Elle ne se répare plus. Elle laisse son genou en vrac, ses dents en ruine, ses articulations rouiller, ferme les yeux sur son mal d’estomac. Elle achète. Elle ne consomme pas. Elle entasse ou offre : elle se dissémine ; se répand. (« L’eau du bain »)

Voici donc une bien belle occasion de se plonger à peu de frais dans l’approche vivante et incisive, ironique sans surplomb, capable de mêler facettes soyeuses et griffures nettes, qui caractérise la poésie de Rim Battal. Comme le dit si justement Arthur H dans sa belle préface : « Cette conscience facétieuse parfois, ce scalpel tendre, d’une cruauté désolée (la justice est cruelle), qui est en quelque sorte condamné à être original et donc ironique. La légèreté comme arme de destruction massive. »

Faim

Des corps ont passé et ton poing
Nu de tout poids
S’obstine à croire à la pertinence
Du coup qui part seul
Comme seul argument

C’est la table qui le reçoit
Il n’y a pas mort d’homme

Quel dommage ! Nous aurions
Eu peut-être un nouveau jour
Férié pour servir au dehors
Une soupe à la rue pleine
De dents qui croient
À la morsure comme seul argument

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Unknown

Capable de tant de fulgurances langagières cruelles (on songera parfois, au détour d’un vers libre, à l’inventivité du Fred Arnoux de « Merdeille », par exemple, ou au regard multi-décalé de la Millie Duyé de « Cabane »), Rim Battal concocte une poésie démonstrative et argumentative qui refuse néanmoins le diktat du déroulé paisible et logique, une poésie conçue pour embrasser et mordre à la fois, une poésie qui épouse en puissance la vocation de la lecture à voix haute, une poésie qui voudrait aussi, comme le dit avec adresse la carte d’identité poétique figurant en fin de recueil, « que les femmes et les mères deviennent sujets regardant et non plus objets regardés » et « qu’elles comprennent que l’érotisme est un super pouvoir et non quelque chose d’impudique, de honteux à cacher ».

Vernaculaire

Quatorze heures, Tzara

La nudité tranquille de son corps comme élément
de langage d’une certaine nécessité
écrire sa nudité le plus tard possible
son corps tranquille et nu sur les draps

Nous prenons le temps que nous n’avons pas
nous folâtrons sur le coton d’Égypte
légers et nus

Parler de sa nudité
de sa façon d’être nu
la façon qu’a son corps d’être nu
la tranquillité caniculaire de son corps nu
comme élément de langage
d’une nécessité certaine :
le fer est sans issue pour les étoiles

Son corps tranquillement nu
solide et sain métal de transition ; fer
malgré l’abandon malgré la forêt
emballage tranquille de la terrible marée qui afflue
vers ma main quand je le caresse

Ce n’est pas un cinq à sept : nous cueillons le temps
son corps nu, tranquille, nom vernaculaire du désastre

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rim_battal_poesie

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À propos de Hugues

Un lecteur, un libraire, entre autres.

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