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Notes de lecture 2021, Nouveautés

Note de lecture : « Love Parade » (Philippe Hebrard)

Dix-sept moments fugitifs, dix-sept tendresses ou ironies, dix-sept frictions ou caresses entre hommes et femmes. Savoureux, bizarrement poétique et malin comme tout.

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Love Parade

Assis sur le trône de mon palais des vents, qui a fini par s’effondrer sur lui-même, j’ai survolé l’existence en ignorant ses nécessités, refusant de monter sur le ring d’une réalité qui pourtant revient toujours, comme on le sait, vous taper sur l’épaule. Portes dérobées, illusions, esquives, contournements. Un prince de l’antimatière. Une place désertée, jonchée des débris d’une fête qui n’a jamais eu lieu. Drapé d’un orgueil faisandé, j’ai porté beau, mais comme l’une de ces demeures vénitiennes à fleur d’eau toujours prêtes à sombrer.
Je ne vaux donc pas mieux que quiconque. Et il est probable que je finisse sans même atteindre les derniers flamboiements d’Eddie Barclay dans sa robe de chambre de soie jaune, reclus en majesté dans son appartement de l’avenue de Friedland. Je me vois plutôt vieillard efflanqué et malodorant aux joues couleur de craie, trainant les pieds dans un réduit douteux, dont la disparition soulagera tout le monde.
Ce recueil, s’il parvient à une existence publique, me causera probablement quelques sévères inimitiés. Elle seront dans doute méritées mais je réclame l’indulgence. Cette discutable galerie de portraits féminins est tout ce que j’ai trouvé pour tenter de distraire un tenace sentiment d’insignifiance.
Bien que les prénoms aient été modifiés, je n’ai aucun doute sur le fait que les protagonistes se reconnaissent instantanément et je renouvelle à leur intention ma prière de mansuétude.
On percevra ici et là, au long de ce petit parcours, l’écho d’une forme de stupeur dans laquelle certaines réactions ou décisions féminines plongent les personnes de mon sexe. On croit être dans l’intelligence du moment, saisir la situation, anticiper. Mais bien souvent, non. On ne voit rien venir. Surprise. Incompréhension. Maladresse.
À la longue, quelques règles semblent émerger. Quelques règles, peut-être, mais pas de code.
Puissent les éventuelles lectrices trouver dans les pages qui suivent l’occasion d’un sourire compréhensif.

En dix-sept textes qui forment « presque » roman, et appelaient ainsi logiquement une introduction commune par l’auteur, présentée ci-dessus, voici donc « Love Parade », un nouveau recueil individuel (confié à Philippe Hebrard) publié par nos spécialistes préférés de la forme courte (nouvelle / novella), Antidata, en février 2021. Dix-sept anecdotes mises en scène avec ruse, dix-sept rencontres, où s’expriment tour à tour et parfois simultanément l’agacement coupable (« Capucine ou les brumes de la discorde »), la timidité conjurée (« Alice ou la fin de la malédiction »), le mot malheureux mais au fond révélateur d’autre chose (« Élise ou les yeux de François Hollande »), la trouble magie des blockhaus (« Marleen ou la piqûre de la méduse »), la radinerie consciente ou inconsciente (« Océane ou les charmes du siphon »), la fragilité tendre et paradoxale (« Sandrine ou le taureau d’argile »), la beauté du malentendu (« Azami ou le cri d’Innocent X »), ou encore la bizarrerie de certaines réactions à l’alcool (« Valentine ou le prisme du sauvignon »). Dix-sept moments de charme et d’ironie, d’observation et de désir, de méditation et de poésie, sans oublier une dose nécessaire d’auto-dérision.

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Elle se fige, attendant la guitare, puis, levant un main d’un mouvement gracile, se met à chanter. Alors, tout bascule. Subitement, il n’est plus question de divertissement estival, car sous les yeux d’une assistance prise au dépourvu et qu’une sorte de tension musculaire vient de cristalliser, c’est un combat à mains nues qui s’engage, celui de l’être humain aux prises avec le flot houleux de ses passions contradictoires, saisi dans le dépouillement de sa mortelle condition de créature aimante, violente, pitoyable et miraculeuse. Puis les bras de la jeune chanteuse entament une lente arabesque, le corps se met à parler lui aussi, et c’est sauvage. Corps de tempêtes et de caresses, qui se donne, se reprend, s’enflamme, entre en lutte. Une faille vient de s’ouvrir, laissant filtrer une lumière d’avant la civilisation, une révolte frémissante de désir, d’espoir, de douleur, de sexe, une pulsion primitive de vie et de mort mêlées.
Cette jeune fille vient d’imposer le silence à une assemblée de buveurs de bière en short, qui ne peut esquiver cette brutale apparition du duende. Régulièrement, les membres de la troupe et les quelques espagnols présents dans l’assistance ou parmi le personnel ponctuent des traditionnelles exclamations admiratives l’engagement total de la jeune artiste. Le barman lui-même s’est arrêté net, les deux mains sur le bord de son évier.
Un dernier claquement de talon, un dernier regard de défi, « Guadalupe ! » annonce Dolores, en désignant d’un geste la danseuse qui se retire, déclenchant une clameur immédiate. (« Guadalupe ou le surgissement du duende »)

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