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Notes de lecture 2019

Note de lecture : « Ruptures » (Collectif)

Huit nouvelles, à propos de ruptures et de préparations de rupture, qui illustrent la puissance de la fiction spéculative et de la science-fiction pour arpenter des sentiers qui bifurquent, à l’âge des nuits tentatives de se tenir debout.

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Créé en 2011, le festival science-fictif  Les Intergalactiques, à Lyon, cherche naturellement des moyens d’encourager la jeune création dans son domaine de prédilection. Comme l’explique l’autrice Li-Cam dans sa précieuse préface, ce recueil est né d’une volonté, celle de toujours placer la science-fiction en situation, et d’un concours de circonstances, celui provoqué par le climat particulier de l’élection présidentielle de 2017. Ce recueil de 8 nouvelles est ainsi issu de l’atelier d’écriture « Préludes 2017 » de la Fabrique du Subréel, animé par le Collectif Zanzibar et soutenu, entre autres, par les Intergalactiques. Il a été publié en mai 2018 par Wat Production.

Véritables laboratoires d’idées, l’anticipation et la fiction spéculative sont essentielles pour la démocratie. Prédire les ruptures, les fractures à venir et comment s’y adapter n’a jamais été plus urgent. Demain se dessine et se décide aujourd’hui.
Nous en étions déjà conscients, mais l’actualité international récente consolide notre conviction que les mouvements citoyens sont une force de progrès. Les formes d’expression ont changé, elles travaillent désormais par les réseaux sociaux, mais le fond des coeurs est resté le même.
Les citoyens aspirent à un idéal, une société égalitaire, permettant à tout un chacun d’exprimer sa voie et de trouver sa voix.
Chaque année, la MJC Jean Macé organise un cycle de rencontres – Les nouveaux mondes. En 2017, ces rencontres se sont placées sous l’étendard du pouvoir d’agir des citoyens dans nos démocraties. Le collectif Piratons 2017 s’y est associé, mettant en avant l’approche citoyenne et engagée de la littérature de science-fiction.
L’action de Piratons 2017 a pris la forme d’un atelier d’écriture organisé avec le concours du festival  Les Intergalactiques. L’objectif : écrire une nouvelle de science-fiction avec pour thème « 2017 : Prélude (à la rupture) ». Le dispositif de l’atelier imaginé par le Collectif Zanzibar comportait un nombre de consignes ou contraintes conséquent pour donner aux auteur.trice.s en herbe le maximum de matière à exploiter. (Li-Cam, Préface du recueil)

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Mix & Remix (Suisse)

Même si les nouvelles ont été retravaillées pour publication, et que deux d’entre elles au moins sont l’œuvre de professionnel(le)s confirmée(e)s, associé(e)s à l’atelier d’écriture, il est réjouissant de constater la qualité de l’ensemble. Li-Cam a su avec maestria, en sept pages, pousser à son extrême la logique obsidionale des forteresses nationales repliées sur elles-mêmes par (officiellement) la peur, de plus en plus petites dans leur hystérie monadique, anticipant joliment celle développée métaphoriquement par Pierre Alféri dans son excellent « Hors sol » en 2018 (« Raconte-moi les murs, Mamie ! »). Anthony Teston, jouant à plein de la tradition science-fictive de l’expérience de pensée, adapte une icône par excellence du changement révolutionnaire de société, celle de la grève générale, à une époque numérique, et réussit son pari narratif de sept pages en se focalisant sur la montée et sur l’attente plutôt que sur le basculement lui-même, rappelant dans sa construction express la si singulière « Sierra Maestra » de Norman Spinrad en 1975 (« Le souffle et le cristal »). Nourrissant sa spéculation du climat de dégagisme qui semble monter progressivement, Anne Canoville opère une subtile mise en perspective de la servitude volontaire et de l’usure de la révolte, de la transition et du retour à la normale, avec une superbe ironie rentrée qui laissera sans doute bien songeusess lectrices et lecteurs (« Vue d’ici »). Par l’une de ces figures de renversement qui, lorsqu’elles sont utilisées avec brio, sont d’une redoutable efficacité (on songera sûrement à l’exceptionnel « L’autre côté » de Léo Henry), Michaël Gauthier nous offre une pénétrante allégorie des notions contemporaines de migrant et de réfugié (« Le blé qui nous nourrit »). Nicolas Chanon nous suggère qu’il ne faut parfois pas plus de quatre pages, à peine, pour évoquer la persistance de la possibilité de l’utopie – une utopie qui se rapproche ici de la simple « normalité » n’acceptant pas les diktats du capitalisme tardif -, en retournant comme un gant la zone autonome temporaire jadis construite par Hakim Bey (« Portail 6 »).

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Série Internext, Le DJtal Humain

Comment vous décririez-vous ?
Quand vous avez des décisions à prendre, vous sentez-vous légitimes ?
Vous devez répondre oui.
Vous êtes savants. Vous savez tout. Ensemble. Vous avez le pouvoir. Non. Vous méritez le pouvoir. Tout n’existe que pour vous. Nous célébrons vos décisions, toutes vos décisions, celles que vous avez prises après de longues réflexions, après avoir pesé les arguments pour et contre, après avoir écarté les a priori. Vous ne vous laissez pas aller à des jugements hâtifs. Vous êtes des experts dans tous les domaines. Quel que soit le sujet, vous avez une opinion, vous avez la réponse. Vous savez tout. Du moins, vous le devez. (Eva D. Serves, « Capucine »)

Dans la plus longue nouvelle du recueil (avec ses onze pages), Michèle Aunime parvient à rappeler avec une certaine élégance fougueuse, dans un registre que ne renierait peut-être pas l’Ursula K. Le Guin des « Dépossédés » que le changement de société, même en démocratie permanente débarrassée des influences du capital, demeure un processus complexe, ouvert, instable et à remettre cent fois sur le métier (« Ils ont voté et puis après… »). Eva D. Serves ouvrait pour sa part le recueil avec la nouvelle à la forme sans doute la plus surprenante ici, parvenant à assembler – en une adresse publique et philosophique décapante – la connaissance, la puissance, la prise de décision et le respect des autres – avec toutes les ambiguïtés inhérentes au choc entre ces concepts même, et avec une tonalité défiante qui pourrait évoquer celle de l’excellent « Le parfum du jour est fraise » de Pascale Petit (« Capucine « ). Le Collectif Zanzibar, enfin, nous offre, en guise de nouvelle de conclusion, le texte le plus elliptique et le plus poétique du recueil, à peine trois pages, magiques, pour évoquer des lendemains différents sans en dévoiler les modalités, mais en ancrant bien l’élan intellectuel nécessaire à la place qui est la sienne, celle du cœur, celle de l’émerveillement (« Ici, il neige »).

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