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Notes de lecture 2019

Note de lecture : « Grammaire de l’imagination » (Gianni Rodari)

Une lecture essentielle pour une meilleure appropriation des mécanismes personnels et collectifs de l’imagination, de la puissance narrative et du récit heuristique – mais aussi une lecture drôle et fourmillante.

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Un jour, dans les Fragments de Novalis (1772-1801), je tombai sur ce passage : « Si nous avions une Imaginatique, comme nous avons une Logique, l’art d’inventer serait découvert. » C’était magnifique. Presque tous les Fragments de Novalis le sont, presque tous contiennent d’extraordinaires illuminations. (…) Ce fut à cette époque que j’intitulai pompeusement Cahier d’Imaginatique un modeste dossier dans lequel je notais, non pas les histoires que je racontais, mais la façon dont elles naissaient dans mon esprit, tous les trucs que je découvrais ou croyais découvrir pour mettre en mouvement mots et images.

Gianni Rodari (1920-1980) est déjà l’un des plus fameux auteurs de littérature jeunesse en Italie (il remporte le prestigieux prix international Hans Christian Andersen en 1970) lorsqu’est publié, en 1973, cet ouvrage bref, incisif, joueur, humble et pourtant à grande portée, intitulé « Grammaire de l’imagination » et sous-titré « Introduction à l’art d’inventer des histoires ». 170 pages, réparties en 44 chapitres pouvant prendre des formes aussi variées que le poème, le conte commenté, le récit anecdotique, le témoignage, l’essai, la parabole, l’histoire drôle, pour tenter de rendre compte d’un ensemble de convictions qui structurèrent tout le travail du poète, du conteur et de l’essayiste que fut toute sa vie ce communiste convaincu, désormais reconnu mondialement. 170 pages auxquelles il faut ajouter les 20 pages supplémentaires de « fiches », notes approfondissant sur un plan davantage théorique certaines notions abordées dans le fil de la confidence construite qu’est cette « Grammaire de l’imagination ».

J’espère que ce petit ouvrage pourra quand même être utile à ceux qui croient en la nécessité de donner à l’imagination la place qui lui revient dans l’éducation ; à ceux qui font confiance à la créativité enfantine ; à ceux qui savent à quel point la parole peut avoir une valeur de libération. « Tous les usages de la parole pour tout le monde » : voilà qui me semble être une bonne devise, ayant une belle résonance démocratique. Non pas pour que tout le monde devienne artiste, mais pour que personne ne reste esclave.

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Traduit en français en 1979 par Roger Salomon chez les Editeurs Français Réunis (qui deviendront les éditions Messidor l’année suivante), et plusieurs fois réédité depuis lors, et notamment chez Rue du Monde, « Grammaire de l’imagination » est loin d’être uniquement un recueil de procédés de créativité en matière de création d’histoires, il est aussi, entre autres choses, un récit d’une rare drôlerie de la confrontation au pouvoir de l’imaginaire et de la fantasmagorie, une réflexion incisive sur le rôle du conte, s’appuyant naturellement sur les travaux de Vladimir Propp, en les réorientant dans une direction d’appropriation créatrice des mythologies et des archétypes, une exploration des mécanismes reliant le jeu et l’activité cognitive chez l’enfant, ou encore un parcours hilarant parmi les pièges possibles de la création du récit littéraire. Grimm, Andersen, Perrault, Lautréamont ou Valéry se trouvent ici mobilisés, pour expliquer ou illustrer telle ou telle hypothèse, au même titre que Chklovski, Joyce, Novalis, Wittgenstein ou Jakobson, et bien d’autres. L’étonnante association d’exercices concrets et ludiques avec des réflexions fouillées et théoriques surprend à l’occasion, et réjouit le plus souvent.

Comme le rappelle Roger Salomon dans sa belle préface, en citant l’article d’Italo Calvino paru en 1982 à propos de cet ouvrage, « cette somme du gai savoir de Rodari (…) est un livre à la fois de pédagogie et de poétique : poétique pour pédagogues et péagogie pour poètes ». On se permettra d’ajouter qu’il peut aussi constituer une composante essentielle de cette construction critique personnelle, pour chacune et chacun, que Patrick Bouvet, dans son dernier livre, appelle « Le livre du dedans », hommage à l’enfant en nous qui a légué à l’adulte ce qu’il avait de plus précieux.

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Discussion

Une réflexion sur “Note de lecture : « Grammaire de l’imagination » (Gianni Rodari)

  1. Très intéressant!

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    Publié par Charles Sagalane | 14 juillet 2019, 14:32

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