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Notes de lecture 2018

Note de lecture : « La guerre en douce » (Frederik Pohl)

Un roman de 1981, un peu raté mais néanmoins fort intéressant, avec glissement énergique de l’action secrète des Etats.

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RELECTURE

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Publié en 1981, traduit (remarquablement) en français en 1986 par Nathalie Serval chez La Découverte, ce roman de Frederik Pohl est un bon exemple de la manière dont l’auteur, régulièrement, sut s’emparer d’idées prometteuses et joueuses à souhait, sans parvenir à les transformer pleinement en œuvres littéraires solides et pérennes. Ce qui n’empêche aucunement de trouver là une lecture tout à fait digne d’intérêt, aujourd’hui comme il y a trente ans, si l’on accepte le principe occasionnel que certains « échecs » demeurent plus passionnants que bien des « réussites ».

Quatre ans après que son « La Grande Porte » ait été couronné par les plus prestigieux des prix de science-fiction (le Hugo, le Nebula et le Locus), Frederik Pohl renouait avec la veine satirique de ses débuts, lorsque, associé à Cyril M. Kornbluth, il décapait la société de consommation en plein essor et la publicité-reine, façonnant les comportements et les politiques, dans « Planète à gogos » (1953) – dont il publiera d’ailleurs, seul désormais, la « suite » en 1984. Au moment du deuxième choc pétrolier et du début de la dernière décennie de la Guerre Froide, il est curieux d’observer avec quelle malice visionnaire le vieux routier de la science-fiction (ayant alors, à soixante-deux ans, près de trente romans derrière lui) nourrit son récit de deux éléments cruciaux en toile de fond, pénurie mondiale des carburants fossiles après que l’essentiel des gisements moyen-orientaux aient été détruits par les armes nucléaires israéliennes, d’une part, et reconversion subreptice de la plupart des services secrets officiels du monde en officines discrètes, chargées avant tout de nuire aux intérêts économiques des autres pays et de leurs éventuelles multinationales privées, par une série d’actions imaginatives de sabotage et de subversion, jugées désormais infiniment plus efficaces et moins coûteuses que la guerre « traditionnelle », d’autre part. La belle tentative que représente le titre français, « La guerre en douce », ne parvient pas complètement à rendre le jeu de mots immédiat de « Cool War », entre guerre chaude et guerre froide, bien entendu.

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Sur ces prémisses plutôt prometteuses, Frederik Pohl conduit hélas, autour d’un pasteur du New Jersey brutalement rappelé au « service actif » des intérêts économiques américains, personnage énorme oscillant furieusement entre le Candide de Voltaire, le soldat Chveïk de Jaroslav Hašek et un avatar farceur du James Bond de Ian Fleming,  une narration certes fort amusante et échevelée, mais globalement très prévisible et tristement superficielle, retombant dans son écriture « trop rapide » qui gâchait déjà nombre de ses romans précédents (on pourra songer par exemple à l’emblématique « La promenade de l’ivrogne »). Si le texte ne mérite sans doute pas la désinvolture ou l’opprobre qu’une partie non négligeable de la critique spécialisée française lui réserva à sa parution, on ne peut toutefois que regretter sérieusement que l’auteur n’ait pas su prendre davantage de soin du matériau spéculatif passionnant qu’il avait d’abord su inventer et exhumer.

Du bout de son revolver, Richy le poussa dans un fauteuil en tubulaire.
« Je suppose que tu ne sais pas ce que c’est qu’un yoyo, persifla-t-il.
– Un yoyo ?
– Et un houla hoop ? Tu n’en sais rien, bien sûr ?
– Mais si, je le sais. Tout le monde sait ça.
– Mais toi, tu es mieux placé que quiconque pour le savoir, parce que tu es fabricant de jouets. N’essaie pas de nous raconter des salades, Hake, ou qui que tu sois. Dis-nous un peu quels jouets tu exportes en ce moment ?
– Je ne sais pas de quoi vous parlez. »
Avec un soupir, Lee vint à la rescousse.
« Pourquoi ne voulez-vous pas nous dire qui vous êtes ? lui dit-elle avec obligeance. En vous obstinant à nier, vous piquez notre curiosité au vif, et nous allons finir par penser que nous avons mis le doigt sur une affaire de tout premier ordre.
– Mais puisque je vous dis que je suis pasteur !
– Oh, Hake, vous êtes empoisonnant ! »
Elle lança un regard morose à l’homme qui gardait la porte en balançant ostensiblement son automatique. Le canon de l’arme se prolongeait par un tube que Hake reconnut pour un silencieux. Détail déplaisant qu’il jugea également ostentatoire.
« Tu veux que je m’occupe de lui ? grommela le type à l’automatique.
– Pas encore. Écoutez, Hake, je vois que vous êtes novice à ce petit jeu. Les salauds qui vous emploient ne vous ont pas tout dit. C’est moi qui vais vous expliquer les règles, d’accord.
– Vous ne voudriez pas me dire d’abord le nom du jeu ?
– Ne faites pas le malin. Examinons la situation. En vous enlevant, nous avons violé la loi. Vous, vous êtes en règle avec la loi, et vous n’avez pas envie de rester entre nos mains. Vous me suivez ? Là, nous nous situons au premier degré. Passons au second degré : mettons que vous soyez un fabricant de jouets ordinaire…
– Mais ce n’est pas vrai !
– Oh, bouclez-la, vous voulez bien ? Laissez-moi terminer. Disons que vous êtes un fabricant de jouets, et que vous n’avez jamais entendu parler des conserveries Lo-Ware, alias l’Équipe. Pourquoi vous avoir enlevé ? Vous vous dites que nous agissons pour le compte de Mattel ou de Sears-Roebuck. En somme, c’est de l’espionnage industriel, un peu musclé peut-être, mais tout à fait banal. Dans ce cas, que faites-vous ? Vous coopérez avec nous. Pourquoi ? Parce que vous ne risqueriez pas votre vie pour un modèle de yoyo, même si vous aviez espéré en inonder le marché soviétique. Vous me suivez toujours ? Il arrive toujours un moment où le sens des affaires passe au second plan.
– Sans doute, mais…
– Il n’y a pas de « mais ». Voilà donc ce qui se passe dans le cas où vous n’êtes qu’un fabricant de jouets. Maintenant, passons au troisième degré : supposons que vous soyez un fabricant de jouets travaillant pour l’Équipe. Vous savez que ces yoyos contiennent des sifflets à infrasons qui rendent les gens fous quand leurs gosses jouent avec – pas complètement fous, mais nerveux et irritables. Vous savez également que vos houla hoops seront responsables de déplacements de vertèbres et de lésions sacro-iliaques propres à déstabiliser l’économie soviétique. Que faites-vous alors ? Et bien, vous coopérez également, parce que vous ne voulez pas que nous sachions que vous n’êtes pas un fabricant de jouets ordinaire. Mais en aucun cas vous n’avez intérêt à nous cacher votre véritable identité, puisque nous la connaissons déjà.  C’est d’ailleurs pourquoi vous êtes là.
– Mais j’en suis resté au premier degré ! Je suis vraiment pasteur !

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À propos de Hugues

Un lecteur, un libraire, entre autres.

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