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Notes de lecture 2018

Note de lecture : « Équations football » (Joachim Séné)

Le temps de trois matchs, le football en inconnue à démasquer.

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C’est en 2017 que la collection French Connection des éditions D-Fiction, sous la direction de Caroline Hoctan, publie ces « Équations football », texte de Joachim Séné, reliant trois nouvelles écrites chacune le temps même d’un match de football, avec une belle préface de Benoît Vincent.

(Le rond central, sous le rond du ballon, sous les ronds des crampons, sous les projecteurs ronds, tout commence ici et rien avant le long sifflet initial car c’est l’origine du temps et de l’espace, big-bang local d’où tout provient : mouvements, creux entre les corps, regards et gestes, le temps même commence ici son décompte.) (« Équation Football »)

Avec la même lucidité poétique acérée qu’il sait développer dans « La crise » ou dans « C’était », Joachim Séné saisit trois matchs spécifiques de football en prétexte à une double exploration poétique et politique, rythmée et enlevée au plus urgent, puisque – contrainte volontaire de réalisation – l’heure tourne, et, mi-temps publicitaire comprise, il n’y a que deux heures pour aller au bout de chacun des trois exercices.

Les maillots sur ces corps pressés sont des rectangles colorés s’agitant au bout d’autant de hampes. Bataillons sur la plaine. On a chanté les hymnes, il s’agit maintenant de vaincre, la bande-annonce est connue.
Chaque corps délimite son territoire, et tous ceux qui forment ensemble une couleur, délimitent un nouveau territoire. Au début, sous les notes des hymnes, les bras s’entrecroisent comme les mailles d’un tissu que le vent ne parvient pas à faire flotter. Les bataillons sont alignés, face caméra on se serre la main comme ailleurs on signe un accord diplomatique à l’abri des caméras. Ensuite, peut commencer le massacre. (« Équation Mondial« )

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1978 : Videla remettant le trophée à Passarella

Comme les meilleurs spécialistes de l’exercice, que ce soit sur débordement ou sur coup de pied arrêté, dans les formes de l’essai travaillant au corps l’anecdote, avec Eduardo Galeano (« Le football, ombre et lumière », 1995) ou Jean-Claude Michéa (« Le plus beau but était une passe », 2010), ou bien du récit romancé et obsessionnel, avec David Peace (« Rouge ou mort », 2013), Joachim Séné convoque en quelques pages déjà haletées aussi bien les composantes du « beau jeu » que les travers du « panem et circenses », les enjeux géopolitiques et les cadenas biopolitiques, les joies sincèritéss et les pis-allers, dans un travail maîtrisé et intense, résolution ébauchée de quelques-unes des équations contradictoires du football.

Une guerre n’est pas un match, car les camps ne sont pas suffisamment bien définis : il y a les camps horizontaux que délimitent de soi-disant frontières ; il y a les camps verticaux puisque les riches envoient leurs pauvres se faire la guerre. Ce qui se croise reste obscurci dans la fumée des frappes. (« Équation Mondial« )

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Arthur Friedenreich

Pour emprunter les mots de Benoît Vincent dans sa préface : « Ce geste que tu perçois, cette action que tu espères, ce but que tu chantes, tout ceci est un théâtre. Et si cela, on le savait déjà, son intelligence consiste à nous inclure dans le manège, lui compris. Qu’y a-t-il derrière la ligne ? ». Joachim Séné nous fournit, en 60 pages, une démonstration éclatante de cette intelligence de l’osmose du corps social politisé qu’il le veuille ou non et du texte poétique poussé dans certains de ses retranchements.

Les stars du foot sont d’anciens pauvres. Les pauvres qui regardent sont pauvres, à présent et à jamais. Et puis, c’est terminé, il faut quitter le terrain de la vie, comme chaque jour. Je lis que le dribble est né au Brésil au début du XXe siècle. Olivier Guez écrit : « Ruse et technique de survie des premiers joueurs de couleur, le dribble leur évite les charges violentes des adversaires blancs que les arbitres sanctionnent rarement. Le joueur noir qui ondule et chaloupe sur le terrain ne sera pas rossé sur le terrain ni par les spectateurs, à la fin de la partie ; personne ne l’attrapera ; il dribble pour sauver sa peau. » Et aussi que, dans les années 30, Arthur Friedenreich réalise sa première feinte de corps dans la rue pour éviter une voiture.
Il nous faudrait dribbler CRS, lois capitalistes, murs-frontières et abysses mortels en Méditerranée. (« Équation Euro »)

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À propos de Hugues

Un lecteur, un libraire, entre autres.

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