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Notes de lecture 2017

Note de lecture : « Gangraine » (Elizabeth Stromme)

Un bon polar précurseur sur l’appropriation du vivant par l’agro-business et le pharma-business, dès 1991.

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Je pris mon élan et y allai à fond. Je lui balançai un coup de pied vicieux, expurgeant tout ce que je me trimbalais sur le coeur depuis trois mois. C’est à peine si la voiture, en admettant qu’on puisse l’appeler comme ça, accusa le coup. L’aile frémit légèrement et s’effondra un peu plus, mais ce n’était rien comparé aux innombrables points de rouille, aux déchirures du métal, à la corrosion qui rongeait son toit bringuebalant. Je n’arrivais pas à croire que je conduisais cette poubelle. Je lui flanquai un autre coup de latte. Si j’avais eu un chien ou une femme, je leur aurai aussi botté le train. Je ne me sentis pas mieux pour autant. Je réussis juste à me tordre la cheville.

Publié en 1994 dans la Série Noire de Gallimard, dans une traduction de Lili Sztajn et sans être préalablement paru en anglo-américain (quoique écrit en 1991), le premier roman de la journaliste et activiste Elizabeth Stromme propose un étonnant et détonant mélange de hard-boiled extrêmement stylé et dynamique  et de revendication écologique plutôt futée autour de l’appropriation des semences naturelles, menée tambour battant depuis bien des années par les multinationales de l’agro-business et du pharma-business. Dans un tout autre genre, on songera naturellement, en lointain descendant, à l’excellent « La fille automate » (2009) de Paolo Bacigalupi.

Comme l’autrice le déclarait dans un bon entretien en français avec le webzine L’Ours-Polar en 1999 (à lire intégralement ici) :

Ça commençait juste mais j’ai débuté les recherches en 1990 et fini le livre en 1991, donc on peut dire que je suis précurseur. J’étais trop en avance pour les États-Unis. J’ai dû faire beaucoup de recherches originales et pour ça, j’ai interrogé de nombreuses personnes, lu beaucoup d’articles, assisté à de nombreuses conférences de professionnels sur les graines… J’ai lu leurs journaux et des textes académiques, des comptes-rendus… Au début, il n’y avait pas d’articles sur ça, c’était juste des journaux académiques et il n’y avait pas de journaux « engagés ». Pour mon polar, on m’a dit « beau travail, mais faites plutôt un essai qu’un polar » ! J’ai fait ce livre car je voulais en parler. Ça a mis quatre ans pour être publié en France et ce ne l’est toujours pas aux Etats-Unis.

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Réussissant la jolie prouesse, à partir de la situation initiale créée par la fugue amoureuse d’une femme de cadre supérieur californien, par ailleurs animatrice passionnée d’un club de conservation de graines, et de l’enquête informelle confiée en conséquence par son mari à un ami, ancien responsable de sécurité corporate, déchu quelques mois plus tôt, de mêler un thriller certes prévisible mais fort rondement mené, une belle histoire d’amour, enjouée et débridée, loin des clichés, et une réflexion écologique et politique qui parvient à dissimuler largement son didactisme éventuel sous une plus qu’honorable inventivité du côté des protagonistes disposés sur la ligne de fuite de l’enquête.

Ce n’était pas un hasard si Bob avait commencé à assister de plus en plus souvent aux réunions de stratégie à l’étage au-dessus, tandis que je continuais à végéter à la tactique. Bob était un battant doublé d’un conformiste. Malgré tout, je ne le haïssais pas. C’était sa nature.

Il n’est ainsi guère étonnant que l’excellent Jean-Patrick Manchette ait beaucoup apprécié ce texte robuste et intelligent, dont il disait dans une chronique : « Ce qui en fait le vif intérêt, c’est que la légère et enjouée intrigue « policière » implique un tableau général mais très inquiétant des conditions qui prévalent maintenant dans l’agroalimentaire et ses dérivations dans la chimie, avec, en prime, des aperçus sur les horreurs du génie génétique. Il faut louer Elizabeth Stromme d’avoir trouvé un ton détendu pour faire passer un point de vue apocalyptique. » On ne saurait mieux dire.

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À propos de Hugues

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