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Notes de lecture 2017

Note de lecture : « Les Venues » (Jérôme Lafargue)

La douleur de l’exil et la force de l’espoir saisies en un instant magique entre dune et pinède.

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Un homme seul sur la dune d’une plage landaise, le regard fixé sur l’horizon marin. Deux gamins qui jouent au foot à proximité. Un minuscule village isolé de tout ou presque, entre estran et pinède à l’infini. Il n’en faut pas davantage à Jérôme Lafargue, dans cette merveilleuse nouvelle parue en 2007 aux éditions de l’Atelier In8 (son troisième texte publié après la nouvelle « Maria Sambrano » dans la revue Le Nouvel Attila et le roman « L’ami Butler » chez Quidam), pour créer en moins de 20 pages tout un univers intense, nerveux et beau, pour dire l’exil, la perte, l’espoir et la fraternité miraculeuse.

Les ans et les douleurs n’ont ni courbé ni affaissé le père Gustave, un vieux gaillard au regard abrupt, qui taille soigneusement sa barbe grise une fois par semaine. Il se tient droit, il est grand et fier. Il porte en permanence un béret sur sa tête. Accoudé au comptoir du débit de boissons, qui donne sur ce que tous nomment avec ironie et tendresse « la grand’rue », il boit son chocolat chaud du matin. Celui qui tient l’endroit est un homme jeune et grave. Il essuie avec conscience les verres qu’il vient de passer sous l’eau. Quelques instants plus tard, il demande : « Il va rester longtemps ? »
La père Gustave le regarde, les yeux brûlants. Il finit par répondre, d’une voix dure. « D’où il vient, c’est la guerre. Tu le sais, non ? Les combats, la torture, les deuils, il en est rempli. Et d’autres viendront après lui.
– C’est pas la peine de s’énerver, réplique le patron.

Étrange conte de Noël (même les flocons de neige seront tardivement et joliment de la partie), fable taciturne de la fuite et de l’accueil, de la perte et de l’attente, « Les Venues » opère avec une singulière magie sur la lectrice ou le lecteur, avançant à petits pas, silencieux et précautionneux, pour instiller sa précieuse et fragile beauté.

Il n’avait pas fallu longtemps avant que le village entier – soixante-douze âmes dispersées à travers une quinzaine de maisonnettes plantées dans la terre instable – n’apprenne cette nouvelle présence. Mais personne ne joua les curieux, comme si les jumeaux qui lui cédaient un bout de plage, et le père Gustave, qui le logeait, disposaient seuls du droit de côtoyer cet homme. Peu importait qu’il n’adressât la parole à quiconque : ceux qui le saluaient en le croisant par hasard dès l’aube ou le soir venu recevaient un large sourire comme réponse, et ils s’en contentaient. On s’accommoda de lui, et les questions fiévreuses se dissipèrent dans l’intimité des foyers. La mère Aguel ne songea pas à interdire la plage à ses deux rejetons, le cafetier ne chercha plus à se montrer indiscret. Même, une compréhension diffuse commença de poindre, comme si la communauté prenant acte de cette venue, acceptait en cœur de compatir : les vieilles craignaient qu’il prît froid ; le médecin de passage s’inquiétait des conséquences de cette immobilité au long cours.
Le village se mit à attendre en compagnie de l’homme, bien qu’aucun bateau n’eût accosté depuis une vingtaine d’années, à l’époque où l’embarcadère tanguait encore, plein de la superbe des ouvrages en bois neuf, indifférents à la puissance des marées qui finiraient à la longue par leur avoir la peau. Il n’y avait aucune curiosité malsaine dans cette attente, juste un espoir qui gonflait à mesure que l’homme, lui, s’attristait chaque jour davantage. Les jumeaux s’alarmèrent un après-midi, lorsqu’ils le découvrirent étendu sur le sable. Ils coururent vers lui, l’appelant, éperdus. « Monsieur ! Monsieur ! »

Nous aurons l’immense plaisir de retrouver l’auteur rusé de « L’ami Butler », de « Dans les ombres sylvestres », de « L’année de l’hippocampe » ou de « En territoire Auriaba », chez Charybde (129 rue de Charenton 75012 Paris) le mercredi 7 juin prochain à partir de 19 h 30, en tant que libraire d’un soir, mais aussi pour évoquer ses tout récents « Au centuple » et « Un souffle sauvage ».

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