Un huis clos fantastique, étouffant et très barré.
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Une nouvelle découverte due à mes ami(e)s et collègues de Charybde, avec ce premier roman écrit en catalan en 2002, et traduit en français par Marianne Millon en 2004 chez Actes Sud.
Le narrateur, météorologue irlandais, rejoint son poste pour un an, sur une île minuscule et isolée de l’Atlantique Sud, pour y découvrir, après le départ du bateau, que lui et le gardien du phare, uniques habitants de l’île, seront soumis toutes les nuits aux assauts meurtriers de créatures venues de la mer…
« Dans ces moments, il rappelait un de ces voltairiens qui en faisant des efforts d’imagination parviennent à créer des barricades. C’était le modèle de l’homme circonscrit à une vérité solitaire et unique, mais fondamentale. Il avait le courage de simplifier. On pourrait dire qu’il simplifiait tant et si bien, que même lui était capable de comprendre la base du problème. Quand il abordait les aspects techniques, par exemple, il avait un esprit clair et serein. Dans ce domaine, il était insurpassable, et c’était à cela qu’il devait sa survie. À d’autres moments, en revanche, il se laissait aller et tombait dans une esthétique de cosaque déserteur. Philosophe de la musculature, aux principes hygiéniques plus qu’ordinaires, quand il mangeait il ressemblait à un authentique ruminant. »
« Mais je n’avais pas l’obligation de le suivre. C’était par essence la seule liberté humaine qu’il me restait là-bas, au phare. Et dans le cas où l’on démontrerait que ce n’étaient pas des bêtes, l’ordre de Batís serait détruit avec plus de violence que celle que cachaient les arsenaux militaires de toute l’Europe.Cela, je le compris plus tard. Ces jours-là, je voyais un Batís Caffó qui ne faisait pas la part des choses. Mais qui ne serait pas disposé à modifier son angle de vue, quand la vie et le futur dépendent du regard que l’on porte sur l’ennemi ? »
Anthropologue de formation, Sanchez Piñol convoque avec habileté le Jules Verne de « L’île mystérieuse » (qu’il mâtine sauvagement d’inquiétudes toutes lovecraftiennes) et le Roy Lewis de « Pourquoi j’ai mangé mon père » (voire le James Cameron d’ « Aliens »…) pour nous emmener dans cette fable lancinante, alternant légèreté des journées au soleil paradisiaque et oppression des combats nocturnes incessants, des vagues d’assaut toujours renouvelées alors que munitions et défenses s’épuisent…, tandis qu’un huis clos étouffant s’empare peu à peu du météorologue et du gardien de phare…
Une très belle découverte, qui s’est largement confirmée ensuite avec « Pandore au Congo » et « Victus ».
La photographie d’Albert Sánchez Piñol ci-dessous est de © Ferran Forné.
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Même si « L’île mystérieuse » et « The White Ship » de Lovecraft ont une certaine parenté avec « La peau froide », c’est plutôt « Le phare du bout du monde » de Jules Verne et « Le pays de la nuit » de William Hope Hodgson qui me semblent être les références antérieures plus directes de ce roman impossible à lâcher. Mais qui ne se déroule pas sous un ‘soleil paradisiaque’ : dans l’Atlantique sud ?…