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Notes de lecture 2016

Note de lecture : « Blaireau se cache » – Navajo Police 14 (Tony Hillerman)

Vaste chasse à l’homme dans les Four Corners après le braquage meurtrier d’un casino. En apparence.

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Publié en 1999, traduit en français en 2000 par Danièle et Pierre Bondil chez Rivages, le quatorzième roman de la saga policière navajo de Tony Hillerman est d’une excellente facture quant aux évolutions de ses personnages principaux, mais – alors que l’auteur est très conscient de ces risques, comme il l’a régulièrement confié dans divers entretiens – se permet quelques redites un peu plus marquées que d’habitude, ce que « Un homme est tombé » (n°12) et « Le premier aigle » (n°13) avaient largement su éviter.

Le braquage du casino des Four Corners, situé sur un territoire de la réserve ute (l’ennemi ancestral des navajos parmi les tribus indiennes), ayant entraîné la mort d’un policier et la grave blessure d’un autre, déclenche une des immenses chasses à l’homme dont le FBI a le secret en pareil cas, vaste opération dans laquelle Jim Chee, à peine de retour de vacances en Alaska, va se retrouver naturellement enrôlé, tandis que, par des moyens plus feutrés, le retraité Joe Leaphorn accède très rapidement à l’identité des trois coupables. Sur cette prémisse, Tony Hillerman nous offre en apparence un scénario qui doit beaucoup à celui de « Femme qui écoute » (n°3), et l’intrigue proprement policière sera sans doute ici l’une des moins surprenantes de toute la saga pour la lectrice ou le lecteur attentifs.

– Pourquoi tenez-vous à ce que ces individus soient arrêtés ? Est-ce simplement pour venger Cap Stoner ?
– C’est en partie pour ça, reconnut Gershwin. Mais ces types, ils vous font froid dans le dos. Certains d’entre eux, en tout cas. Je jouais un petit rôle, avant, dans cette action politique, aux côtés de ceux qui l’ont lancée. Mais après, ils ont pris des positions trop extrémistes.
Gershwin avait été sur le point de finir son lait. Il reposa son verre.
– Ces salopards du Service des Forêts, ils se comportaient comme s’ils étaient les propriétaires des montagnes. Nous, on y avait vécu toute notre vie et tout à coup on ne pouvait plus faire brouter nos bêtes. Couper du bois. Chasser le wapiti. Et les bureaucrates de l’Attribution des Terres étaient pires. Nous étions les serfs, et eux, les seigneurs. Nous voulions seulement faire un peu entendre notre voix au Congrès. Que quelqu’un rappelle aux bureaucrates qui paye leurs salaires. Et puis il y a les dingues qui sont arrivés. Les extrémistes écolos qui voulaient dynamiter les ponts que les exploitants forestiers utilisaient. Ce genre de choses. Après on a eu les gosses style New Age, les survivalistes et les opposants à la mondialisation. J’ai décroché progressivement.
– Alors ce sont certains de ces types-là qui ont fait le coup du casino ? C’était politique ?
– D’après ce que j’ai entendu dire, ça devait être pour financer la cause. Mais je pense que certains avaient besoin d’argent pour manger. Si on ne travaille pas, je suppose qu’on peut appeler ça un geste politique. Mais peut-être qu’ils voulaient réellement acheter des armes à feu, des munitions et des explosifs. Ce genre de trucs. Enfin bon, c’est ce que racontent les types que je connais dans ce mouvement. Ils avaient besoin de fonds pour se procurer des armes afin de chasser le gouvernement fédéral hors de chez nous.

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Tony Hillerman profite néanmoins fort habilement de cette toile de fond criminelle quelque peu convenue pour nous offrir, comme jamais auparavant, une belle incise sur la mentalité pionnière qui persiste à exister sur les confins de la Grande Réserve, tout particulièrement dans cette contrée des canyons, là où l’Utah, le Colorado, le Nouveau-Mexique et l’Arizona se touchent, désert apparent aux richesses naturelles de toutes sortes, dans lequel les héros de Edward Abbey, tout particulièrement, évoluent comme de paradoxaux poissons dans l’eau (« Le gang de la clef à molette », 1975), où les agences fédérales, maladroites en diable lorsqu’elles ne sont pas aveuglées par leurs conflits internes et leurs luttes de prérogatives, touchent du doigt une opposition parfois radicale (telle que Chris Offutt la dépeint aussi, ailleurs, dans « Le bon frère » en 1997).

Dans la longue durée de la série, « Blaireau se cache » permet aussi à la relation entre Joe Leaphorn et Jim Chee de prendre encore un peu d’une belle épaisseur supplémentaire, et à leurs rapports respectifs avec Louisa Bourebonette d’une part, avec Janet Pete et Bernadette Manuelito, d’autre part, de prendre de nouvelles directions potentiellement décisives. Et c’est ainsi que Tony Hillerman, même lorsqu’il cède occasionnellement à la fatalité de la redite en matière d’intrigue policière, comme c’est un peu le cas ici, parvient néanmoins à joliment tenir en haleine la lectrice ou le lecteur fidèles – et à conforter leur amour à distance pour le pays navajo et les contrées sauvages des canyons.

Ils quittèrent le comptoir d’échanges un quart d’heure plus tard, avec des instructions très précises pour se rendre aux deux endroits où Jorie pourrait se trouver, un ajout à la carte tracée sur le sac d’épicerie précisant quelles bifurcations prendre sur quelles routes pour localiser Main de Fer, et une vague hypothèse selon laquelle Baker était peut-être parti s’installer à Blanding. Par ailleurs, ils avaient recueilli une profusion de rumeurs concernant les enjeux politiques dans la zone frontière Utah-Arizona, les activités militantes, les suppositions sur les auteurs du hold-up au Casino Ute, et un récit des actes scandaleux les plus récemment commis par le Service des Forêts, le Bureau des Réclamations, le Service des Parcs et autres agences au niveau du pays, de l’État et du comté, contre le bien-être de diverses personnes qui menaient une existence besogneuse dans la région des canyons aux limites de l’Utah.

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