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Notes de lecture 2015, Nouveautés

Note de lecture bis : « Charøgnards » (Stéphane Vanderhaeghe)

L’étrange journal instable d’une invasion locale radicale, d’une apocalypse villageoise et ailée aux confins de la folie.

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Charognards

Publié le 3 septembre 2015 chez Quidam, le premier roman de Stéphane Vanderhaeghe impressionne par son originalité, sa subtilité et son souffle.

Voici un curieux journal de bord échoué dans les mains de la lectrice ou du lecteur, par le truchement d’abord délicat à évaluer d’un lettré d’une époque qui n’est certainement plus la nôtre, lettré qui s’émerveille, s’intrigue et même s’excuse d’avoir choisi de livrer le texte « tel quel », brut, dans sa langue d’origine – qui est la nôtre, semble-t-il.

Voici un bizarre journal qui narre, par le menu, par le détail quotidien, inquiétant, atroce ou dérisoire, l’irruption progressive, insidieuse puis déferlante, d’oiseaux – oiseaux dans toute la splendeur hitchcockienne de leur acception – dans et aux alentours d’un village apparemment ordinaire, dont les habitants, confrontés à cette catastrophe qui ne dit pas son nom, à cette Apocalypse localisée qui soulève ailleurs l’incrédulité, nient d’abord, résistent, secouent la tête, puis prennent quelques précautions, puis disparaissent, enfuis ou évanouis.

Ils sont trois ou quatre, peut-être plus. À becqueter, déchiqueter – à broyer ces restes propitiatoires d’un reste éviscéré de, bientôt incrustés dans l’asphalte.
Ce spectacle n’a rien d’exceptionnel en soi. Ils s’en donnent à cœur joie, chacun leur tour dans leur patience docile de communiants. L’un d’eux, c’est l’image que j’en garde, relève la tête et me voit. Foncer sur lui, droit, sur eux. Je crois –
Il est posé légèrement en travers de la route au milieu de ses congénères. Deux yeux noirs cinglants qui sur une tête à ressort s’effacent derrière la dague, sur moi pointée, autour de laquelle s’entortille un lambeau sanguinolent.
J’y lis une interrogation. Une invite. Un soupçon.
Dans ce silence un oracle.

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L’écriture de ce journal, diaboliquement précise dans ses termes, traduit pourtant à chaque pas l’incrédulité, le désarroi, le remplissement du décor et de la narration par un indicible presque lovecraftien, par un insoupçonnable résolument glaçant, dont la brume électrique renforce petit à petit le caractère indécidable : récit fidèle d’une agonie aussi silencieuse qu’inexplicable, parmi les bruissements d’ailes, les claquements de becs et les croassements que l’on imagine, fatalement, cruels ? Ou bien délire d’un monomaniaque loin avancé dans la crise de nerfs, d’un psychopathe à la mémoire flageolante cherchant là quelque posthume justification à d’éventuels actes horribles ? Ou encore possible évangile apocryphe d’un culte encore tenu secret ?

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Photo : Olivander (Creative Commons)

Un peu comme dans ces films où le héros piégé clame son innocence, prétend n’être que le jouet d’une intrigue ourdie depuis la marge, qui le dépasse mais en tous points l’accuse. Les conventions du genre font que je finirai bien par être blanchi – ce que je me dis.
Il y a toutefois dans tous ces « événements », avérés ou non, ceux d’hier et les autres, ce que jusqu’ici j’ai vu, fait cru, tu au gré de mes saillies, et dans le reste aussi, quelque chose qui d’emblée résiste au récit que j’en pourrais faire ; quelque chose qui plongerait presque la langue dans l’embarras (et quelque chose me dit que l’énigme tout entière se joue à mi-chemin de ce « presque » et du conditionnel), ferait trembler l’armature qui la guinde si elle n’apprivoisait la violence qu’elle invite et assourdit en son sein.
Je me rassure en me disant que tout ça n’a pas de sens.
Je me raisonne en me disant que je préfère encore le silence, l’injustice du non-dit au non-lieu.
L’imagination fait le reste, qui se nourrit de tout, même d’un rien.

Stéphane Vanderhaeghe use avec une stupéfiante maîtrise de l’écriture ambiguë de son narrateur rapporté, dont chaque affirmation semble pouvoir hésiter, trébucher sur une réminiscence, une improbabilité ou un doute, tout en déroulant inexorablement une mécanique de l’envahissement et de la dissolution, dont témoignent in ultimo l’effacement progressif des pages du journal, en un fade to black particulièrement, physiquement, saisissant (magnifiquement servi par la qualité de l’impression et de la réalisation de l’ouvrage). Comme Norman Lavers dans son cultissime (et hélas presque introuvable en anglais, et jamais traduit en français) « The Northwest Passage », il joue également avec un aplomb impressionnant du surplomb radical que procure son « doctorant du futur » à l’humanité (au sens classique et contemporain du terme) largement questionnable, dont la langue, loin de toute gratuité comme de toute recherche vaine d’effet spectaculaire, traduit dans la chair et le neurone la mise à distance qui s’est opérée depuis les événements (ou non-événements) relatés à propos de ces incompréhensibles, impossibles « Charøgnards », dès leur avant-propos savant.

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Photo : pitjia (Deviant Art)

Le lectans, dọnc, ne perde pas évisiọn que le textuel qu’il a sous les yeux a fait une munitieuse décompositiọn l’object ÷ c’est dọnc en sørte ce ..journal.. le dénégatif même que nous proposọns à la lectance aujourd’hui – les multiples lacunes-siennes, les béances, les blanches poches que nous avọns introductées dans les pages de suite témoignent d’un reste irréductile ε cọntrastent førtement avec l’orduratiọn visuelle de l’object øriginel telle que surmentionnée ε endurée pår son ..auteur.. Pour des ergonoraisọns, nous avọns pris cependans la décésure de ne pas détraver la lectance, en soi déjà périlleuse, pår des notes l’ajouxte. S’ils ne sọnt pas explicitement saignés, il nous a néanmoins fallu décéder certains choix – omissiọns pårfois, décritures à d’autres endroits – lørsque nous cọnfrọntiọns à des mots ou passages illectibles, soit pår le piætre étact dans quel se trouvait l’homanuscrit, soit à cause d’une écriture nọn-rechiffrable – ce ..journal.., déprécisiọn sans doute infructile tant elle påraĭct avide, mais l’avidence filtrée pår la distance hystørique parfois nous échårpe, fut édicté à la main, dans une graphie étrangære de plusieurs cycles vieillie -, soit encøre pår plusieurs procédés au cours de quoi l’homme avait ressemble-t-il attenté d’amender, encoder ou dissimuler sa cọnflictiọn certains élémens, ainsi qu’il s’en explique à plusieurs déprises.

Si je n’ai pas été totalement surpris par cette intense réussite (ayant eu la chance d’avoir il y a quelques mois entre les mains un autre texte – encore inédit – de l’auteur, à la magie musicale et funèbre dont j’espère que vous pourrez vous régaler prochainement), il reste que rarement, ces dernières années, un premier roman m’aura autant donné le sentiment d’une maîtrise déjà aboutie, d’une belle radicalité de la narration et d’un tel enchantement hypnotique et cruel, juste à la jouissive frontière entre fiction contemporaine, science-fiction et fantastique.

Ma collègue et amie Charybde 7 en parle magnifiquement ici, et plusieurs respectables blogueurs me semblent aussi superbement plussoyer : Gromovar, Efelle, Yossarian, par exemple.

Pour acheter le livre chez Charybde, c’est ici. Et l’auteur sera en soirée le 11 septembre prochain chez Charybde !

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À propos de Hugues

Un lecteur, un libraire, entre autres.

Discussion

6 réflexions sur “Note de lecture bis : « Charøgnards » (Stéphane Vanderhaeghe)

  1. Vous me donnez furieusement envie de lire ce livre L’extrait proposé sur le site éditeur laisse apparaître une écriture morcelée. Ce qui ne semble pas être le cas des 3 passages figurant dans votre (ardent et généreux) commentaire.

    Publié par Raymond Penblanc | 31 août 2015, 18:32

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