Vertige de la muse matérielle espérée dans l’exil, triomphe secret de l’océan et du vent : un souffle épique étonnant traverse la poésie intime de Watson Charles.
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Sur la route
Un homme marchait
Tenant dans sa poche ce morceau de soleil crucifié
Comme s’il sortait d’un voyage
Avec sa gorge pleine de cailloux
Qu’il aimerait jeter sur un corps nu
Il parcourait le monde et les chemins qui inondent le pays
Le ciel lui paraît vide tel un chien muet
Pourtant il reconnaît cet arbre qui l’a enfanté
Publié dans l’intrigante collection Freaks des éditions Æthalidès (où l’on trouve aussi par exemple Christophe Esnault et Jean-François Seignol, dont on vous parlera très prochainement sur ce même blog) en mai 2022, « Seins noirs « est le quatrième recueil du poète haïtien Watson Charles, à qui l’on doit également un roman, « Le ciel sans boussole », et un recueil de nouvelles, « Le goût des ombres ».
Dédié en apparence à la femme noire, par son titre et par l’exergue venu de chez Senghor, le recueil tourne subtilement autour de ce pôle d’attraction magnétique en diable, qui tente de contrebalancer le souffle de l’exil (ancien, par l’arrachage à la terre africaine pour rejoindre en cas de survie l’économie du capitalisme de plantation, ou beaucoup plus récent, par l’extrême difficulté de demeurer aujourd’hui encore en sécurité en Haïti).
Pourtant, ce qui triomphe lentement au fil des pages, entre espoir intime magnifié et regret à plusieurs piliers, est plus élémentaire, et davantage propice au souffle brut : la mer et le vent semblent bien in fine les meilleurs alliés dans cette impossible connaissance de soi, par les gouffres, que le poète avoue subrepticement tenir pour un objectif légitime. Errance sublime, errance parfois dangereuse, mais errance riche de mémoires à partager, encore et toujours, du mieux possible, en espérant la saisie par la grâce, même au cœur du labeur poétique inlassable et secret. Rêverie, solitude, angoisse, certes, mais beauté inquiète avant tout. Watson Charles excelle ici à nous plonger doucement dans le vertige de sa quête.
Le ciel avait dans ta main
La couleur du bois mort
Et le goût du soleil humide
Chaque instant
Je ressens le rire des clochers
Comme cette pierre dont je suis fait
Cette main tendue
Tel un morceau de givre
Ne fallait-il pas l’arracher dans la bouche du mendiant
Je parle de ce vent qui nous fait vivre
Et du ciel chargé de pluie
Des enfants aux visages de suie luisant
Comme un feu ardent
Dormant aux pieds des montagnes
Je te parle de moi sans me connaître
On peut lire ici la belle recension d’Emmanuelle Caminade sur son blog L’Or des Livres.
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Discussion
Rétroliens/Pings
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