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Notes de lecture 2020

Note de lecture : « Acrobaties dessinées » (Sandra Moussempès)

Féérie et imaginaire en mutation poétique continue, pour gratter par le texte et par la voix ce qui s’élabore derrière masques et façades.

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– Pourrait-on créer un répertoire de femmes qui mythifient la rencontre / attente ?
Des kamikazes affectives privilégiant le bénéfice secondaire à la « self esteem » analysant chaque particule d’une atmosphère idyllique
En susurrant quelques phrases toxiques,
bribes d’indépendance, en souvenir d’une hérédité contrariée sous forme de soutien pédagogique

Cinq ans avant « Colloque des télépathes », et déjà aux éditions de L’Attente, la poétesse, chanteuse et performeuse Sandra Moussempès nous offrait en 2012 ces « Acrobaties dessinées », accompagnées du cd « Beauty Sitcom »., dont l’écoute permet de saisir concrètement l’intense aller-retour entre texte et voix plurielles (même émanant d’une unique artiste) qui s’impose au fil des années comme une profonde et mystérieuse marque de fabrique. On peut également se procurer les enregistrements « Vox Museum » et « Videographia », aux éditions Jou, pour poursuivre cette fabuleuse investigation sonore au gré du temps. Comme l’autrice s’en expliquait aux détours d’un excellent entretien avec Emmanuèle Jawad dans Poezibao (à lire ici), c’est probablement dans ce texte-ci que se manifeste pour la première fois de manière aussi claire l’irruption progressive, au cœur de la poésie et du chant, d’éléments autobiographiques soigneusement disjoints (la photographie de quatrième de couverture en constituant à son tour un témoignage signifiant, comme celle de la page 64, bien entendu), éléments qui contribuent décisivement à étayer une entreprise globale visant à regarder derrière les façades et les masques, sociaux et intimes, pour approcher mine de rien, sans effaroucher tout de suite, ce qui s’y dissimule. Un talent de contorsionniste psychologique et vocal, et en effet d’acrobate, est ici nécessaire, indéniablement – et la phrase de Sandra Moussempès, lue ou entendue, ne se dérobe jamais à sa mission.

Ne filmez pas quelque chose à visionner dans quelques années
Non
Pas ça
Ne prenez pas le passé pour argent comptant
Avec ou sans driver
Les rushs resteront abandonnés

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Que surgissent Britney Spears ou Iphigénie, Emily Brontë (Kate Bush se retrouvant fatalement en filigrane) ou Eminem, Emily Dickinson ou Sylvia Plath, The Wolfgang Press ou l’inspecteur Derrick, ce sont bien des « résurgences momentanées des sensations visuelles » (le titre de l’une des parties) qui sont ici à l’œuvre, plus ou moins subrepticement – alors même que la dimension sonore, même hors du cd d’accompagnement proposé avec « Beauty Sitcom », demeure omniprésente. En triturant presque magiquement un matériau mémoriel éventuellement disparate – mais pourtant formidablement agencé -, Sandra Moussempès dévoile non seulement l’une des composantes imaginaires fondamentales qui hante la musique de l’indie rock depuis la fin des années 80, mais aussi la mosaïque de hasards et de nécessités qui compose une histoire donnée à la place d’autres histoires possibles. Et elle le pratique au moyen d’une poésie étonnante qui sait caresser aussi bien que cravacher, en une joie paradoxalement silencieuse de mots et de formules explosives.

Il s’agit du sud, peu importe
Le projet se détournant du projet initial
S’essayer à l’essai faute de creuser une évidence

Le développement enveloppe les hypothèses
concernant la fonction d’un papillon de nuit

Surprise de l’antiposture
l’insecte se colle au pare-brise

Des cambrures n’engagent pas l’unité d’un récit
mais ses lucarnes

Ou postpunk tout ce qui précède l’envoûtement
Prédispose à l’embrasement d’une illusion

Nous aurons la joie d’accueillir Sandra Moussempès à la librairie Charybde (Ground Control, 81 rue du Charolais 75012 Paris) le jeudi 6 février prochain à partir de 19 h 30 pour une lecture et une discussion autour de son dernier texte en date, « Cinéma de l’affect ».

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Discussion

7 réflexions sur “Note de lecture : « Acrobaties dessinées » (Sandra Moussempès)

  1. OLGA TOKARCZUK (le début)

    Olga Tokarczuk est une écrivain polonaise, née à Sulechów dans la voïvodie de Lubusz, en Pologne. C’est une petite ville pas très loin de la frontière entre Lubin au Sud et Francfort sur Oder à l’Ouest. Etudes à l’université de Varsovie, elle vit à Wroclaw et vit de ses livres depuis 1997. Elle contribue notamment à la revue anglaise « Granta » avec quatre nouvelles. On trouve d’elle, traduits par Christophe Glogowski « Dieu, le temps, les hommes et les anges » (1998, Robert Laffont, 342 p), et « Maison de Jour, Maison de Nuit » (2001, Robert Laffont, 301 p.). Plus récemment, traduits par Grażyna Erhard, on trouve « Récits Ultimes » (2007, Noir sur Blanc, 256 p.) « Les Pérégrins » (2010, Noir sur Blanc, 380 p.) et traduits par Margot Carlier « Sur les Ossements des Morts (2012, Noir sur Blanc, 304 p.) et un texte court « Les Enfants Verts » (2016, La Contre Allée, 96 p.), et enfin, traduit par Maryla Laurent « Les livres de Jakób » (2018, Noir sur Blanc, 1064 p.). A signaler que « Les Pérégrins », dans sa version initiale en polonais « Bieguni », traduit en anglais par Jennifer Croft sous le titre de « Flights » (2017, Fitzcarraldo, 424 p.) vient d’obtenir le Man Booker Prize en 2018. La consécration par le Prix Nobel de 2018, décalé en 2019, lui a été confirmée par téléphone alors qu’elle roulait avec son mari, Grzegorz, vers Bielefeld en Allemagne. Elle vit maintenant entre Varsovie et une maison de campagne à Krajanow, près de Kłodzko dont elle parle dans ses livres, c’est à côté de Nowa Ruda, à 200 m de la frontière avec la Tchéquie.

    J’avais lu d’elle « Les Pérégrins » et « Récits Ultimes », mais la perte successive d’un portable et le lâchage intempestif d’une carte mère sur un second portable à six semaines d’intervalle, m’ont fait perdre une bonne partie de mes notes. Il a fallu la sortie de « Les Livres de Jakób » pour que je me remette à lire et à écrire. Sans doute ma carte mère, elle aussi a souffert. Enorme pavé d’environ mille pages, bien que numérotées à l’envers. Par ci par là des nouvelles, dont certaines dans Granta, que l’on retrouve comme chapitre dans un de ses livres. On voit que ceux-ci sont édités en français par la très bonne maison d’édition Noir sur Blanc., et en Angleterre par la petite maison Fitzcarraldo. Cette dernière, dirigée par Jacques Testard a eu la chance d’avoir dans ses auteurs deux prix Nobel en quatre ans, Svetlana Alexievitch et Olga Tokarczuk, belle performance pour cette maison qui édite une douzaine d’ouvrages par an. Le fait qu’elle édite Mathias Enard est-il un signe ? Pour l’instant, il tient la chronique des poches dans « Le Monde des Livres ». Il faudra que j’aille faire un tour de leur catalogue. J’ai souvent découvert de nouveaux auteurs, même des bons, de cette façon. Et puis c’est une découverte, toujours agréable.
    Tant que j’en suis aux maisons d’éditions, il faut signaler celle de Lausanne « Noir sur Blanc ». Profitant de la fortune familiale des laboratoires Hoffmann-La Roche, qui nous abreuve en médicaments de toutes sortes, Jan Michalski et sa femme Vera Michalski-Hoffmann ont fondé cette maison, avec une antenne à Varsovie. L’idée est de faire passer des auteurs de l’est, polonais, baltes ou russes. De très bons auteurs, dont Olga Tokarczuk bien entendu, avec la signature du N stylisé de Nicolas Machiavel en couverture, comme logo de la collection.

    Pour revenir à Olga Tokarczuk……

    « Sur les ossements des morts » de Olga Tokarczuk, traduit par Margot Carlier (2012, Noir sur Blanc, 302 p.) commence par « Je suis à présent à un âge et dans un état de santé tel que je devrais penser à me laver soigneusement les pieds avant d’aller me coucher, au cas où une ambulance viendrait me chercher en pleine nuit ». Voilà qui inaugure bien de la suite. Il faut avouer que cela vaut largement « La marquise sortit à cinq heures ». Quoique, un exégète freudien pourrait faire remarquer le côté avant-gardiste de l’un et passéiste de l’autre. Il faut reconnaître que la narratrice, Janina Doucheyko « avait pris à cet effet une petite tisane de houblon avec en plus deux cachets de valériane ». De quoi ne pas entendre « les coups à la porte – violents et sans retenue aucune, donc forcément de mauvais augure ». Qu’en aurait conclus le bon docteur Sigmund ? Que la surdité résulte de plusieurs causes, on s’en doutait. Ce n’est que Matoga, le voisin en pyjama qui vient lui annoncer que « Grand Pied est mort » et n’en dit pas plus. Il est vrai que « il doit avoir Mercure en Capricorne, un signe de silence, en carré ou peut-être en opposition avec Saturne ». Désolé pour l’exégète « avec un Mercure rétrograde – ce qui est typique pour un introverti ». A vrai dire « Grand Pied, Matoga et moi étions les seuls à vivre ici sans craindre l’hiver ». Le « ici » c’est la ville de Klodzko, que l’on a déjà vu dans « Récits Ultimes », également Olga Tokarczuk (2007, Noir sur Blanc, 254 p.). Petite ville près de la frontière tchèque à 100 km au sud de Wroclaw, à mi-chemin à la fois de Prague et de Dresde. Par contre l’auteur est née à Sulechów, à 200 km au nord-nord-ouest de Wroclaw.
    Janina Doucheyko est végétarienne, ingénieur à la retraite, maintenant professeur d’anglais, passionnée de William Blake et d’astrologie. Elle essaie d’ailleurs d’appliquer ces préceptes à sa vie quotidienne, pensant que le thème astrologique d’une personne pourrait révéler la date de sa mort. Pour en revenir au voisin Grand Pied, c’est comme cela qu’elle l’a surnommé, il est bien mort. Etouffé par un os de biche qu’il était en train de manger. « Il s’est étranglé. Il s’est étranglé avec un os. Un os lui est resté en travers de la gorge, il s’est coincé dans sa gorge ». Cela devait être un petit os tout de même. Pas de la tête qui est restée intacte et que Janina emmène pour l’enterrer. Bref, il faut tout d’abord rendre Grand Pied présentable, dans ses hardes. On lui passe un costume couleur café, à peine taché, qui avait dû très peu servir ». Puis les voisins, tous à moustache, défilent, ainsi que la police.Dyzio, t
    Arrive Dionizy, dit familièrement Dyzio, qui dans ses instants libres est fanatique de William Blake. Il en est à traduire « Le Premier Livre d’Urizen », ce qui lui parait une tâche ardue. Ils partent ensemble sur la colline voisine où une lumière luit, inhabituelle. « A l’entrée du col se trouvait un grand tout terrain. Ses portières étaient ouvertes, c’est pourquoi la lumière brillait à l’intérieur ». Autour, « de curieuses traces – une multitude de petits ronds de la taille d’une pièce de monnaie » Des empreintes de biches.
    Urizen n’est autre que l’incarnation de la loi et donc de la sagesse universelle. Tout au moins dans la mythologie que propose William Blake. On pourra lire, avec difficulté, les quatre tomes des œuvres complètes de William Blake (1977, Aubier) un bon millier de pages, en édition bilingue, sinon « Le Mariage du Ciel et de l’Enfer » (2013, L’Imaginaire, 400 p.). Et pour les moins convaincus, lire l’exégèse de Christian la Cassagnère « William Blake : Des chants d’innocence au livre d’Urizen » (2000, Didier, 120 p.). Au début Urizen représentait la raison, avec son opposé Los, représentant l’imagination. Le lire dans le texte, car Blake joue beaucoup sur les mots, avec des homophonies. On en trouve un exemple dans le livre « Every Night & every Morn / Some to Misery are Born / Every Morn & every Night / Some are born to sweet delight / Some are born to Endless Night» dont la traduction par Pierre Boutang donne “Chaque soir, chaque matin, / Tels naissent pour le chagrin. / Chaque matin, chaque soir, / Tels pour délices d’espoir. / Tels naissent pour les délices, / Tels pour nuit qui ne finisse. » Poème extrait de « Chansons et Mythes » (The Pickering manuscrit, 1803). Ou comment l’homme est cruel envers les animaux. On peut noter que la plupart des citations entête de chapitre sont de William Blake.

    Pour en revenir à la lumière du tout-terrain abandonné, c’est celui du commandant de la police locale, lequel est retrouvé par Janina et Dyzio « les yeux ouverts, maculé de sang, terrifiant ». Pas de doutes pour Janina « Ce sont les animaux qui se vengent des hommes. ». Pour parachever la scène, il y aura la découverte du corps de Glaviot, un autre villageois, braconnier lui aussi, le corps à moitié mangé par les renards qu’il élevait.
    Il est vrai que l’histoire se déroule avec « Uranus en Lion », ce qui « représente toujours le pouvoir révolutionnaire ». Le roman devient polar, la narratrice, elle, devient l’interprétatrice des astres qui dirigent le tout. Les animaux en sont pratiquement le bras de la justice. « Le monde est une prison pleine de souffrances, organisée de telle façon que, pour survivre, il faut faire du mal aux autres ». Le roman ne tourne cependant pas à la fable plus ou moins écologique et bien-pensante. « Après tout, pourquoi devrions-nous être utiles ? Et en vertu de quoi ? Qui a divisé le monde entre l’utile et l’inutile, et de quel droit ? Un chardon n’a-t-il pas le droit de vivre, ou bien une souris qui mange du grain dans un grenier ? Et les abeilles, les bourdons, les mauvaises herbes et les roses ? Quel est l’esprit qui a eu le culot de décider qui est meilleur et qui est moins bien. »
    Alors ? Un autre livre sur la méchanceté et cruauté que les humains imposent aux animaux. Livre écrit, en polonais, il y a plus de onze ans, quand L214 en était encore à essayer de stopper le gavage des oies, bien avant le gavage par le journal télévisé en continu. Non plutôt, et c’est la référence à William Drake, une histoire sur les personnes qui se rebellent contre l’ordre du monde. La référence aux « Moires », qui deviendront les Parques dans la mythologie romaine et que l’on retrouve dans « Récits Ultimes », n’est pas non plus sans signification. On les retrouve dans Platon qui veut les faire revenir sur terre et faire réincarner les gens en homme ou animaux selon leurs sorts. Retour aux animaux après une vie terrestre.

    Refaire une mythologie à soi. Remettre les gens à leu place par rapport à une hiérarchie proche. Tout comme la réattribution des noms aux voisins par Janina, tels Grand Pied, Manteaux Noir, Glaviot, Froufrou, Bonne Nouvelle. Rébellion contre toute sorte d’endoctrinement. Que ce soit la doctrine officielle autrefois avec « ses maisons individuelles de l’époque communiste, construites avec des matériaux de récupération piqués à droite et à gauche – des maisons laides et tristes ». Ou que ce soit actuellement l’emprise du catholicisme, avec « le Père Froufrou » et son parfum « un mélange d’eau de Cologne et de feu de cheminée ». On ne peut dire que Olga Tokarczuk soit une cléricaliste forcenée. Par ailleurs elle rajoute « La prison ne se trouve pas à l’extérieur, elle est à l’intérieur de chacun d’entre nous », puisque le pays est passé d’un opium à l’autre. C’est assez amusant de voir cet aspect de la religion que l’on retrouve dans « Les Livres de Jakob », énorme bouquin de plus de mille pages, traduit par Maryla Laurent (2018, Noir sur Blanc, 1040 p.). Dans ce livre Frank Jakób, au fond libertin, hérétique et schismatique, mais pour la bienséance Juif converti à l’islam puis au christianisme, est un hors-la-loi, magicien qui deviendra tour à tour misérable et richissime. Sera-t-il le Nouveau Messie, c’est ce que ses adeptes vont répandre. Là encore, Olga Tokarczuk dynamite les convenances. Faut-il encore s’étonner qu’elle ait eu le Prix Nobel, même si « Les Livres de Jakob » n’est pas encore traduit en anglais, c’est prévu pour novembre prochain.

    Qu’on se rassure, il y aura une suite……….. à la fois de la vie et évolution de l’auteur (en commençant par le milieu comme ici. De fait, son presque premier roman « Maison de Jour, Maison de Nuit » est en réimpression, mais il y aura les nouvelles et autres romans.

    Publié par jlv.livres | 4 février 2020, 17:50

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