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Notes de lecture 2016

Note de lecture : « Macau » (Antoine Volodine & Olivier Aubert)

Mourir à Macau.

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Dans la chaleur humide et asphyxiante de Macau, ligoté sur une jonque et bâillonné avec du ruban adhésif, sous la surveillance d’une femme, Laura Kim, et d’un vieux pêcheur chinois, un homme, qui se faisait appeler Breughel dans «Le port intérieur», attend sa dernière heure.

«Je savais bien ce qui m’attendait. Un homme viendrait, il tendrait au vieux une liasse de dollars, il s’accroupirait au milieu des cartons pourris et, à la limite de l’ombre et de la lumière, il passerait plusieurs minutes à ne rien faire de spécial. Il échangerait deux ou trois phrases anodines avec Laura Kim, il m’adresserait deux ou trois regards détendus et même subtilement complices, car il aurait la grandeur d’âme de vouloir endormir ma vigilance. Puis il me fracasserait le crâne et ressortirait rapidement du bateau, en compagnie de Laura Kim et en laissant le vieux se débrouiller avec mon cadavre.»

Breughel n’est pas encore mort mais presque. Alors, dans ce présent déjà scellé comme une tombe, dans l’atmosphère étouffante d’une nuit de plus en plus épaisse, seul à l’intérieur de ses derniers souvenirs, il revisite la ville de Macau telle qu’il l’a aimée, ruminant des réminiscences d’aventures vécues dont on ne sait si elles ont eu lieu dans la réalité ou dans les livres.

«Il en fallait, de la fidélité, de l’aveuglement volontaire, pour rester amoureux de cet endroit !… Je l’avais découvert dix ans plus tôt sous sa forme de bourgade coloniale, figée dans les années quarante, et ensuite je l’avais vu se métamorphoser à grande vitesse en une affreuse banlieue, sous l’impulsion de médiocres architectes qui par tous les moyens en arrachaient l’âme séculaire, la vieille âme luso-asiate. Et je savais que bientôt, je savais qu’aujourd’hui j’allais assister à la phase ultime de l’enlaidissement, à la transformation du territoire en un terminal de fret, avec saunas et maisons de jeu pour y entretenir encore une image négociable chez les négociants en touristes.»

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® Paolo Nozolino

Dans cette heure interminable d’une défaite certaine, où l’exotisme et les espoirs ont été vaincus, les mots eux-mêmes semblent se déliter. À l’intérieur de son ultime refuge de souvenirs, l’homme est accompagné des images de Gloria Vancouver, agent missionné pour le séduire dans «Le port intérieur», du souvenir de sa terrifiante noirceur et de son discours incompréhensible, de son regard épuisé noyé dans la folie, de ses délires et de sa poésie hallucinée qui fait écho aux «Slogans» de Maria Soudaïeva, poétesse d’origine russe exilée à Macau.

«Tu penses à Gloria qui inventait des créatures brutales et vengeresses, des méduses demi-ciel, des ourses rouges, des aragnes absinthes, des louves infatigables et nues. Les félins n’apparaissaient pas dans son bestiaire. Tu es là, appuyé contre des planches qui sentent la poussière et les latrines, tu regardes en voyeur un chat qui hésite entre l’agonie et le sommeil, tu songes à la lutte que tu mènes à l’aveuglette pour que rien ne vieillisse dans ta mémoire, et tu penses à Gloria. Et rien ne parle plus ou presque rien.»

Miné par la maladie avant la confrontation qui l’a conduit dans cette impasse, l’homme attend sa mort de manière presque résignée, convoquant des images pour masquer l’horreur de sa situation, remplissant ses derniers instants des souvenirs d’une ville et d’une femme qui n’existent plus.

«Tu penseras à l’ancien terminal du jetfoil, aux eaux qui coulaient là, chargées de fleurs et de feuilles, tu te rappelleras l’appartement où tu retrouvais Gloria pour être avec Gloria, pour regarder avec Gloria, toute la nuit, les bateaux accoster et partir. Aujourd’hui tu entames ton séjour dans ton ultime néant, et ce temps n’est plus. Ne t’en désole sous aucun prétexte. Il n’y a rien à renier, ni passé, ni présent.»

Paru en 2009 aux éditions du Seuil, ce texte d’Antoine Volodine est accompagné de photographies en noir et blanc de Macau et de ses habitants par Olivier Aubert.

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À propos de Marianne

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