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Notes de lecture 2015

Note de lecture : « Hommage aux Indiens d’Amérique » (Ernesto Cardenal)

Sept chants lyriques à la gloire de l’Amérique précolombienne et de la part la plus noble de sa culture.

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Hommage aux Indiens d'Amérique

Publié en 1969, partiellement traduit en français en 1989 par Jacques Jay aux éditions La Différence, le huitième recueil de poésie du Nicaraguayen Ernesto Cardenal (dont j’ai abondamment fourni les éléments biographiques à propos de ses « Poèmes de la révolution ») a été écrit à l’époque de son activité artistique et religieuse au sein de la communauté de Solentiname, qu’il avait fondée sur une île du lac Nicaragua, et du début de son engagement aux côtés des sandinistes contre la dictature somoziste. Irrigués de théologie de la libération et d’un humanisme tellurique parfois naturellement quelque peu naïf, ces sept extraits donnent un bel aperçu de la poésie volontiers lyrique, mais toujours récitative et politique, jusque dans le choix de ses emblèmes, dans laquelle Ernesto Cardenal choisit de mener ses luttes, qu’elles soient dirigées contre des ennemis identifiés, contre des mythes impérialistes, ou en défense d’opprimés historiques, fût-ce au prix de certains ajustements et de quelques simplifications parfois dommageables à la tenue de l’ensemble.

À rapprocher paradoxalement de fresques historiques sans concessions, telles le « Conquistadors » d’Éric Vuillard, ou de jeux rusés avec la mythographie de la conquête, tels le « Sur le fleuve » de Léo Henry et Jacques Mucchielli, le souffle d’Ernesto Cardenal apparaît indéniable, même s’il suppose souvent une idéalisation de l’indianité d’avant la conquête espagnole qui n’était peut-être pas toujours nécessaire pour fustiger les grands propriétaires terriens et semi-industriels qui, au Nicaragua comme dans le reste de l’Amérique latine de ces années-là, ou presque, disposaient de l’économie en coupe réglée, et conduisaient en sous-main une répression d’une rare férocité vis-à-vis de leurs encore trop rares opposants (au plan analytique, la description ironique et enlevée de la dictature dominicaine de Trujillo par Hans Magnus Enzensberger, dans « Politique et crime », reste difficile à égaler), toujours prêts à appeler les Marines de l’oncle du Nord (jusque dans les années 1950) ou ses forces spéciales (par la suite) lorsque nécessaire.

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Ils ne connurent pas la valeur d’inflation de l’argent
Leur monnaie était le Soleil qui brille pour tous
Le Soleil qui est à tous et a tout fait croître
Le Soleil sans inflation ni déflation : Et non pas
ces sales « soleils » qui servent à payer le péon
(lui pour un « soleil » péruvien te montrera ses ruines)
Et on mangeait 2 fois par jour dans tout l’Empire

Et ce ne furent pas les financiers
les créateurs de leurs mythes

Plus tard fut pillé l’or des temples du Soleil
et mis en circulation en lingots
portant les initiales de Pizarre
La monnaie amena les impôts
et avec la colonie apparurent les premiers mendiants

Célébrant la communion avec la nature et les rituels d’harmonie caractérisant les empires aztèque, maya et inca, et leur mépris réel des richesses purement matérielles, Ernesto Cardenal en gomme sans hésiter les aspects les plus dérangeants, pratiques sacrificielles ou guerres locales violentes, pour n’en conserver que la pureté originelle et la lutte passive contre l’envahisseur, le désarroi et l’incompatibilité des valeurs non marchandes. Mais comme le disait alors le théologien poète de quarante ans, au cours de divers entretiens, la mythologie n’est pas l’histoire, et il lui importait de célébrer de la matière ancestrale nettement opposée aux dérives oligarchiques états-unisées des années 1960, et de rappeler avec force les pulsions génocidaires développées à l’égard des Indiens durant près de trois siècles, et non de faire œuvre d’historien ou d’anthropologue.

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À la chute de l’Empire
l’Indien s’est assis accroupi
comme un tas de cendres
et il n’a rien fait d’autre que penser…
Indifférent aux gratte-ciel
à l’Alliance Pour le Progrès
Penser ? Qui sait
Le bâtisseur de Macchu Picchu
dans une maison de carton
et boîte de conserve Flocons d’Avoine Quaker
Le tailleur d’émeraude affamé et puant
(le touriste prend sa photo)
Solitaires comme des cactus
silencieux comme le paysage – au fond – des Andes
Ils sont cendres
ils sont cendres
qu’évente le vent des Andes
Et le lama triste chargé de bois
regarde sans mot dire le touriste
collé à ses maîtres

C’est peut-être trente-cinq ans plus tard, finalement, qu’un autre genre de poète, pourtant moins reconnu, le sous-commandant Marcos avec son « Don Durito de la forêt lacandone », saura associer de manière beaucoup plus convaincante la parole poétique et fabuleuse, la pensée politique, et l’histoire assumée sans masques.

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Ernesto Cardenal

À propos de Hugues

Un lecteur, un libraire, entre autres.

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