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Notes de lecture 2015

Note de lecture : « Le pilote » (Édouard Peisson)

Un rude capitaine de paquebot doit affronter en plein Atlantique la montée brutale de la cécité.

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Le pilote

Publié en 1937 chez Grasset (et réédité il y a quelques années dans les Cahiers Rouges de ce même éditeur), « Le pilote » était déjà le treizième roman d’Édouard Peisson, ex-capitaine de la marine marchande, mis à terre par la vague de désarmements de 1923-1924, et devenu écrivain à partir de 1928.

Un moment apparenté, dans les années 30, au groupe littéraire dit des « écrivains prolétariens », avec notamment Henry Poulaille et Eugène Dabit, il met logiquement en oeuvre une connaissance extrêmement détaillée des métiers de la mer, tout particulièrement ceux de la navigation commerciale hauturière, pour proposer un récit sans effets spéciaux, raconté avec une grande simplicité, une certaine rudesse et une extrême pudeur.

Le commandant Pierre Laurent, très expérimenté capitaine d’un courrier (petit paquebot) sur le trajet Naples- New York, au passé héroïque mais au caractère d’une rare rudesse, découvre soudainement, en pleine traversée, que sa vue baisse à très vive allure, lors d’un trajet aller… Après une consultation médicale express et inutile à New York, il entame le trajet retour la mort dans l’âme, craignant de perdre son poste, de perdre la face devant ses officiers et ses hommes qu’il n’a jamais ménagés, voire de perdre davantage encore en cas de coup dur qu’il ne pourrait pas assumer… Autour de lui, le médecin et le second s’inquiètent et commencent à avoir des doutes. Que va-t-il se passer ?

Un bloc de feuillets dans la main gauche, que cette main abaissait et relevait, le regard se fixant sur la page noircie ce soir d’août, puis sur la page écrite ce soir de juin, le second comparait chaque mot, chaque lettre. L’écriture large, pesante, appliquée, n’offrait ici et là aucune différence. Les lettres étaient arrondies et allongées semblablement, les pleins et les déliés se reproduisaient. Il paraissait bien que ce fût le même homme se trouvant dans les mêmes conditions qui avait tracé les mêmes mots. Le seul changement était la couleur de l’encre ; celle dont on usait à bord du « Virginia » était de mauvaise qualité et jaunissait rapidement.

Phrygie

Extrêmement sobre, voire taciturne à l’image de ses protagonistes principaux, « Le pilote » saisit avec acuité l’ambiance de sérieux, de sens du devoir et de discipline, mais aussi de raideur, de distance et de quant-à-soi régnant parmi les officiers d’un bâtiment marchand de l’époque. Le professionnalisme extrême des marins va de pair avec une propension au ressassement des anecdotes, positives et négatives, et avec des spéculations aussi tempétueuses que totalement intériorisées (un peu à la manière de ce que décrit le grand C.S. Forester à propos de son héros Horatio Hornblower, dans un contexte militaire du début du XIXème siècle toutefois). Comme chez Joseph Conrad, l’homme se révèle ici surtout lorsqu’il se heurte au risque, au devoir, à la responsabilité, et in fine à l’estime de soi et à l’honneur. Mais à la différence de l’Anglo-Polonais, Édouard Peisson ne cherche pas à convoquer des circonstances exceptionnelles, à faire souffler le vent de l’aventure sur ses hommes de mer : c’est dans la simplicité presque routinière de leurs tâches quotidiennes qu’ils doivent affirmer leur grandeur, ou chuter misérablement.

Un très beau roman de mer et de marine, et un peu davantage.

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Peisson

À propos de Hugues

Un lecteur, un libraire, entre autres.

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