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Notes de lecture 2016

Note de lecture : « Néozapatisme – Échos et traces des révoltes indigènes » (Collectif)

En 2012, l’actualité du néo-zapatisme, et son humour théorique et pratique.

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Publié en 2012 aux éditions Syllepse, en co-édition avec l’Institut de Sciences Humaines et Sociales de l’Université autonome de Puebla, au Mexique, cet ouvrage, coordonné par John Holloway et traduit en français par Sylvie Bosserelle, est particulièrement précieux en un moment où la colère sociale grandit, que ce soit dans les pays développés ou dans ceux qui le sont moins – au sens classique du terme – sans que cette frustration ne parvienne à trouver, jusqu’à présent, de véritables débouchés politiques.

En six articles et une excellente introduction, on trouvera donc ici d’abord un « point d’avancement » du néozapatisme mexicain, depuis le rappel historique analytique (Vittorio Sergi, « EZLN : l’insurrection et le mouvement social ») jusqu’au bilan provisoire aux lendemains de « L’Autre Campagne » de 2009 (Antonio Fuentes Díaz, « L’Autre Campagne zapatiste et la crise du politique »), sans oublier de situer méticuleusement ces évolutions dans le contexte de la société mexicaine contemporaine (Francisco Javier Gómez Carpinteiro, « Une critique du « post-autoritarisme » mexicain »). Autant d’éléments fort utiles à qui suit le Mexique politique et social depuis 1994, et de rappels très pédagogiques et fort accessibles aux néophytes, par ailleurs, même si l’on note parfois un peu de pesanteur dans l’expression, surtout chez Fuentes Diaz.

À nos yeux, le zapatisme permet de tracer des pistes pour répondre à un problème fondamental auquel nous sommes , les uns et les autres, confrontés : que faire de notre colère ? Qu’allons-nous faire de cette colère qui jaillit partout à travers le monde ?
La colère naît de la crise du capitalisme. Cette dernière est le moment où s’expriment les attentes déçues et les espoirs consumés. Nous avons cru pouvoir trouver un emploi, mais il n’y a plus d’emplois. Nous avons cru pouvoir étudier à l’université mais il est désormais de plus en plus difficile d’étudier pour ceux qui n’ont pas d’argent. Nous avons cru pouvoir disposer de la Sécurité sociale mais il y a désormais de longues files d’attente pour avoir un lit d’hôpital. Nous sommes attaqués de partout ! Les coupes dans les dépenses publiques, le chômage croissant, la privatisation du système éducatif, toutes ces attaques nous rendent la vie difficile.
Les riches deviennent plus riches encore, les pauvres plus pauvres encore et les puissants encore plus puissants. Et nous sommes en colère. En colère parce que nous ne savons pas comment nous débarrasser de ce système barbare, sanguinaire et stupide. Nous sommes en colère parce que nous sommes piégés dans un système qui est déjà mort mais qui, comme un zombie, continue à marcher, à tuer et à détruire tout ce qu’il peut. (…)
Pour parler de révolution, nous devons le faire dans une nouvelle langue et à cet égard, les zapatistes ont fait plus que quiconque pour initier la création d’une nouvelle langue de la rébellion-révolution. (Introduction collective de l’ouvrage)

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Les deux articles les plus « universitaires » de l’ouvrage sont nettement ceux des deux coordinateurs, Fernando Matamoros Ponce (« Imaginaire et religiosité dans la révolte zapatiste ») et John Holloway (« Le zapatisme : une critique révolutionnaire des sciences sociales »). Tous deux sociologues, le premier résume et actualise ici ses travaux plus amples de 1998 (« Mémoire et utopie au Mexique ») et de 2007 (« La pensée coloniale : Découverte, conquête et guerre des dieux au Mexique ») en continuant à analyser la manière dont une résistance religieuse souterraine, une pensée populaire extrêmement syncrétique et une foi profondément ancrée informent toujours, ici, les avancées sociales et politiques – on oublie trop souvent, en France, qu’une part importante du clergé catholique mexicain s’est clairement rangée, depuis 1994, aux côtés des zapatistes -, tandis que le deuxième fournit un excellent résumé, mis en situation concrète, de son tonique ouvrage de 2007, « Changer le monde sans prendre le pouvoir », et de la tentative saluée qu’il représente de changer réellement le paradigme révolutionnaire hérité du léninisme, en y incorporant plusieurs éléments issus de ses derniers travaux de l’époque, menés d’ailleurs en collaboration, à Puebla, avec Fernando Matamoros Ponce et Sergio Tischler (« Negativity and Revolution: Adorno and Political Activism »).

Notre approche socio-anthropologique de l’histoire pourrait être taxée par certains d’empirisme et de simplification sociologique : ils diraient que si tout est dans tout, alors il n’y a rien de nouveau. Cependant, nous affirmons que les mots naissent des sujets et avec les objets de la vie quotidienne. Ainsi, pour ne pas perdre de vue les sujets qui donnent vie aux mots et conditionnent l’objet, nous nous questionnons : la négativité, les espoirs et utopies, inscrits dans les mots et actions, ne seraient-ils pas les « carburants de l’histoire » ? Les sens et les visions, ou les cosmogonies du monde, les éléments des traditions (us et coutumes) ne sont-ils pas des réalisations des désirs d’une collectivité en lutte pour vivre, non pas survivre et encore moins mourir ? Aujourd’hui, l’histoire, de même que la mémoire religieuse et politique, est remise en cause dans un dialogue inachevé. La mémoire souffre de l’oubli des raisons historiques qui éclairent le sens et le pourquoi des morts dans les résistances et rébellions contre l’ignominie. En ce sens, la présence du passé dans les subjectivités est une alerte messianique contre les fragmentations et les violences de l’ordre, du pouvoir et du progrès avec leurs guerres et génocides liés à l’hégémonie. (Fernando Matamoros Ponce)

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Le grand apport des zapatistes est d’avoir rompu le lien entre révolution et contrôle de l’État. Alors que tant de gens dans le monde étaient parvenus à la conclusion que si la révolution à travers l’État n’était pas possible, c’est la révolution tout court qui était impossible (et que par conséquent nous n’avions plus qu’à nous faire une raison), les zapatistes déclarèrent pour leur part que « si la révolution à travers l’État n’était pas possible, il nous fallait repenser la révolution. Nous devons en finir avec l’idée d’identifier la révolution avec la prise de l’État, affirmaient-ils, mais nous ne devons pas abandonner l’espoir de la révolution car cet espoir est la vie même. »
L’illusion étatique n’est qu’une partie d’une illusion plus vaste, illusion que l’on pourrait appeler l’illusion du pouvoir. Cette illusion repose sur l’idée que pour changer la société nous devons conquérir des positions de pouvoir ou que, du moins, nous devons parvenir, d’une certaine manière, à avoir du pouvoir. Selon moi, le projet zapatiste est bien différent. Il ne s’agit pas d’un projet dans lequel nous devenons puissants mais d’un projet où il s’agit de dissoudre les relations de pouvoir. C’est là une conséquence de l’insistance continue des zapatistes sur le principe du « diriger en obéissant » et sur la dignité, non seulement comme but de la lutte mais aussi comme son principe organisateur. (John Holloway)

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Sergio Tischler

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Il reste le véritable morceau de bravoure de l’ouvrage, celui qui concilie un peu miraculeusement une recherche théorique exigeante et l’esprit espiègle et quichottesque de la forêt lacandone, l’essai et le conte, le sérieux et le recours à la farce (comme complément d’un recours initial aux forêts, aurait pu suggérer Ernst Jünger, qui n’était pourtant ni franchement progressiste ni très farceur). Sergio Tischler met ici en scène, nourrit et orchestre une étonnante conversation, autour du feu de camp de quelque retraite en pleine jungle, entre Mikhaïl Bakhtine, Walter Benjamin, Theodor Adorno et les principaux commandants zapatistes (« Temps et émancipation : Mikhaïl Bakhtine et Walter Benjamin dans la Jungle Lacandone »). Texte particulièrement roboratif, en étroite résonance avec les fables politiques du sous-commandant Marcos lui-même (« Don Durito de la forêt Lacandone », 1999), il nous offre brillance et puissance en ne négligeant à aucun moment l’humour légèrement pince-sans-rire qui en est comme la marque de fabrique, fût-ce pour présenter les apports sociaux contemporains d’un équivalent du franc carnaval bakhtinien.

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À propos de Hugues

Un lecteur, un libraire, entre autres.

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