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Notes de lecture 2016

Note de lecture : « La forcenée » – Trilogie Krachevski 3 (Serge Quadruppani)

Une fin particulièrement en beauté émouvante pour la première trilogie policière de Serge Quadruppani.

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La forcenée

Publié en 1993, toujours chez Métailié, le troisième volume de la souple trilogie Krachevski, première incursion en force de Serge Quadruppani dans le genre policier, poursuit en apothéose désenchantée le travail de l’enquêteur atypique Émile K., ancien du GIGN devenu détective privé évoluant au cœur des scandales les moins avouables de la démocratie française mondialisée, après « Y » (1991) et « Rue de la Cloche » (1992).

Après 20 heures, le supermarché offre un sirop musical xylophoné, spécialement conçu pour des clients peu nombreux mais dotés d’un fort pouvoir d’achat. Dans les nocturnes du Super 7 de la porte de Bagnolet, parmi les cravatés ivres d’heures sup’ en transit entre l’écran de leur ordinateur et celui de la télé, les occupés de leurs corps en survêt’ multicolores au sortir de la danse, de l’aïkido ou du stretching, les funèbres fêtards sous perfusion d’alcool, au milieu des abonnés absents chez qui l’emballage déclenche le réflexe de préhension qui remplit le caddy sans provoquer d’activité cérébrale, Juliette trouvait l’anesthésie qu’elle cherchait.

Tout commence par un braquage de supermarché, au cours duquel une serviette bourrée de secrets sulfureux en possession d’un passant fort imprudent se retrouve en la possession de l’otage de hasard, qui disparaît avec son précieux chargement. Ayant pu tracer très partiellement la piste jusqu’à un bar du vingtième arrondissement parisien, les services spéciaux et la police doivent choisir entre l’une des trois jeunes femmes prénommées Juliette, clientes du bar qui pourraient être leur cible.

La jeune femme aux longs cheveux noirs et au bassin assuré arriva sur la Place par le côté ouest, au bas de la pente de la rue Jourdain. Elle passa devant l’un des bunkers à excréments qu’un entrepreneur lyonnais répand sur l’Europe et s’arrêta, interpellée par la fine équipe des SDF. Autour du même banc s’agglutinaient Momo, grand, svelte et digne, Lucette, sa dulcinée maigrichonne et pelée, le jeune Jean-Luc, en tricot révélant ses biceps tatoués, Bernard le Chinois qui observait la Place à travers ses lunettes à quadruple foyer et ne parlait qu’à son bâtard de berger allemand, Tania, aussi large que haute, le tif court et toujours en colère, et Gégé, le seul de la bande qui, avec sa barbe rebiquante et sa casquette, ressemblait à un classique clochard. L’interpellée s’avança jusqu’au banc et tendit une pièce à Momo.

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Serge Quadruppani nous avait montré dans les deux tomes précédents avec quel brio il échafaude des courses-poursuites, brutales, hallucinantes et ramifiées. Dans le cadre en apparence plus statique d’une surveillance minutieuse menée à l’échelle de quelques coins de rue, il se révèle drôle et machiavélique dans sa construction narquoise d’impasses et d’angles morts, pour les lectrices, les lecteurs et les enquêteurs. Face au commissaire Blédard au nom gentiment transparent, Émile Krachevski, pris d’un progressif vague-à-l’âme, échafaude plans et contre-plans, plus désenchanté que jamais, et de plus en plus poète au fond de lui-même. Dotés de beaucoup plus d’épaisseur encore que dans les deux premiers volumes, les personnages révèlent leurs failles et leurs désirs secrets, leurs peurs et leurs doutes, donnant un ton singulier à cette fin de série policière qui casse et émeut à la fois.

Mais le centre de contrôle de ce réseau de surveillance, installé en secret à l’hôtel Printania, avait été détruit par une explosion criminelle. Le patron de l’hôtel et un officier de police avaient trouvé la mort. Un autre policier était blessé, le pronostic réservé. L’origine de l’attentat ne faisait aucun doute, mais elle serait difficile à prouver. On était dans un État de droit, et l’enquête serait longue et difficile. Mais à la fin, les coupables, tous les coupables, il en était sûr, seraient arrêtés, jetés en prison, et il espérait que la justice saurait se montrer enfin inflexible.

Premier enquêteur créé par Serge Quadruppani, lointain ancêtre de la Simona Tavianello de « Saturne », de « La disparition soudaine des ouvrières » et de « Madame Courage », Émile K. restera ainsi longtemps dans nos mémoires.

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À propos de Hugues

Un lecteur, un libraire, entre autres.

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