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Notes de lecture 2013

Note de lecture : « À l’aide ou le rapport W » (Emmanuelle Heidsieck)

Bannir l’entraide gratuite pour dégager de l’espace marchand : beau roman soigneusement terrifiant.

Rapport W

Publié en août 2013 chez Inculte, dans la collection LaureLi qu’y anime désormais Laure Limongi, le quatrième roman d’Emmanuelle Heidsieck poursuit le travail d’imagination qui est désormais quelque peu sa marque de fabrique, à savoir l’exploration romanesque aussi près du terrain que possible (terrain qu’elle connaît particulièrement bien en tant que journaliste) des abîmes humains et sociaux que préparent, volontairement et involontairement, les politiques guidées par les idéologies du tout-économique et de la marchandisation à outrance.

L’astuce narrative utilisée – les détails fort peu anodins en réalité, de la confection, dans un climat d’arrivisme ministériel et de résignation administrative subtilement rendu, d’un rapport officiel, travail de l’ombre confronté durant son élaboration à des faits divers qui le nourrissent et le font résonner – fonctionne remarquablement bien, et produit cet effet glaçant que le romanesque aux allures de document bureaucratique ou politique brut, lorsqu’il est réussi, crée au plus profond du lecteur, surtout bien entendu, lorsque le cheminement futur évoqué est minutieusement accompagné de mesures DÉJÀ prises depuis une dizaine d’années, parfaitement authentiques, elles (que l’on songe par exemple – ô nostalgie – aux magnifiques nouvelles de Serge Lehman qui précédaient sa trilogie « F.A.U.S.T. »)..

Un roman bref (140 pages) mais d’une force dévastatrice pour aider à ressentir dans sa chair intellectuelle la signification profonde d’un terme tel que « concurrence déloyale vis-à-vis de services marchands légitimes », amenant donc, fort logiquement, à proscrire sous peine d’amendes et de peines de prison, le coup de main, l’entraide, le don, la gratuité, en dehors du (très) strict cercle familial et d’un bénévolat de charité sociale (très) étroitement encadré, afin de dégager et baliser de nouveaux espaces de marché où trouver la croissance du profit dont on a si désespérément besoin le système économique actuel…

Une belle réussite, soigneusement terrifiante.

« La direction de l’ADS a été créée au début de l’année par décret en Conseil des ministres. Il s’agit de la direction « Aide Don Service ». Le directeur de cabinet du ministre de l’Intérieur, P, a tout de suite pensé à A, ils sont de la même promo, les autres candidatures étaient de pure forme. Voilà donc A, affublé de ce B, chargé de faire un rapport de la plus haute importance délimitant les délits d’aide, de don et de service. Les pouvoirs publics ont pensé dans un premier temps rattacher cette direction au ministère de l’Économie et des Finances puisqu’il s’agit de traquer tout ce qui, dans le non-lucratif, peut fausser la libre concurrence. Mais la structure démographique de Bercy, une majorité de quinquas, posait problème. Il faut du sang neuf, des esprits purs, sans souvenirs, sans passé. C’est ainsi qu’il fut décidé que ce serait une direction interministérielle, sous la houlette de l’Intérieur qui, avec le délit d’aide aux sans-papiers, a une certaine expertise dans la définition du délit d’aide et la recherche de citoyens ordinaires, sans casier. »

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À propos de Hugues

Un lecteur, un libraire, entre autres.

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