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Notes de lecture 2022, Nouveautés

Note de lecture : « Sommes-nous ce que nous lisons ? » (George Orwell)

Quatre brefs articles de George Orwell autour du livre, de son économie et de ses métiers, stupéfiants de justesse, d’humour et d’actualité paradoxale.

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Sous ce titre tentant, voire tentateur (qui évoque pour nous très directement le grand « Killing Kate Knight » d’Arkady K.), les Mille et Une Nuits de Fayard nous proposent en mai 2022 un bref recueil de quatre articles publiés par George Orwell en 1936 (« Souvenirs de librairie »), 1945 (« Les bons mauvais livres ») et 1946 (« Confessions d’un critique littéraire » et « Des livres ou des cigarettes »), dans une belle traduction de Charles Recoursé.

La librairie est par ailleurs une profession d’une grande humanité qui ne pourra être rabaissée outre mesure. Les grandes entreprises ne pourront jamais anéantir les petites librairies indépendantes comme elles l’ont fait des épiciers et des laitiers. Mais les journées d’un libraire sont très longues – je ne travaillais qu’à temps partiel, mais mon employeur, lui, faisait des semaines de soixante-dix heures, sans compter les expéditions pour aller acheter des livres -, et c’est une vie qui use la santé.

On connaît bien entendu le romancier et fabuliste de « 1984 » et de « La ferme des animaux », ainsi que l’essayiste et chroniqueur politique (ses textes rassemblés en deux volumes en français chez Agone, par exemple, demeurent un vertige d’intelligence et de lucidité), on connaît moins, a priori, le critique littéraire, et moins encore le libraire qu’il fut occasionnellement. Ces quatre textes sont une belle occasion de voir appliquer à deux métiers du livre (libraire et critique littéraire), mais aussi à l’activité même de lecture et à ce que l’on appellerait aujourd’hui « l’économie de la filière », l’esprit analytique pénétrant, drôle, parfois mordant, mais toujours profondément juste de l’illustre créateur de Winston Smith. Et si certaines anecdotes, remarques ou observations sonnent largement comme intemporelles, concernant les clients des librairies et des bibliothèques, par exemple, ou bien la lecture des « bons mauvais livres », on sera plus stupéfié encore par l’étonnante actualité des réflexions sur la critique littéraire ou sur le prix du livre (et de l’élasticité ou non de la lecture par rapport à ce prix), que beaucoup d’acteurs contemporains de la « chaîne du livre », en France ou ailleurs, pourraient sans doute à nouveau méditer avec profit.

Une lecture aussi surprenante que passionnante, pour toutes les amatrices et amateurs de littérature et de livre, lecture dont je ne peux, en tant qu’occasionnel critique et libraire, qu’apprécier doublement l’ironie profonde.

J’ai toujours été convaincu que le mieux serait simplement d’ignorer la plupart des livres et d’accorder de très longs articles – au moins mille mots – à ceux, rares, qui sont visiblement importants. Des notules d’une ligne ou deux évoquant des parutions à venir peuvent se révéler utiles, mais les chroniques ordinaires, avec leurs six cents mots, seront toujours fatalement démunies d’intérêt, même si leur auteur y met du sien. Or, ce n’est généralement pas le cas, et la production de bribes de texte à longueur de semaine ne manquera pas de réduire le chroniqueur à la silhouette éreintée que j’ai dépeinte au début de cet article. Cela étant, et puisque chacun en ce monde a un autre qu’il méprise, je dois admettre, pour avoir exercé les deux métiers, que le critique de livres est toutefois mieux loti que le critique de films, lequel ne peut même pas travailler de chez lui et doit se rendre à des projections privées à onze heures du matin. De lui on attend, à une ou deux exceptions notables, qu’il brade son honneur contre un verre de mauvais sherry.

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À propos de Hugues

Un lecteur, un libraire, entre autres.

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