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Notes de lecture 2022

Note de lecture : « La traque » (Herbert Lieberman)

Violente et désespérée, la traque imaginaire d’un criminel nazi en Amérique du Sud dans les années 1970.

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Publié en 1978, deux ans après « Nécropolis » pour lequel l’auteur recevra le Grand Prix de Littérature Policière, « The Climate of Hell », traduit en français au Seuil en 1979 par Serge Grunberg sous le titre « La traque », est le sixième roman d’Herbert Lieberman, grand maître new-yorkais du roman policier et du thriller (avec même une incursion dans le carrément fantastique, « Le Maître de Frazé », en 1993), aujourd’hui quelque peu passé de mode, après ses grands succès internationaux dans les années 1970, 1980 et 1990.

Poursuivant Gregor Grigori, ancien médecin du Reich surnommé l’Ange de la mort d’Auschwitz (qui emprunte logiquement la plupart de ses éléments biographiques à l’authentique Josef Mengele), se cachant à peine, sous de hautes protections, dans la zone des trois frontières entre Argentine, Paraguay et Brésil, « La traque » raconte la lutte entre un commando israélien presque « rebelle » désormais, décidé à aller au bout de son action et les séides dégénérés ou simplement grassement stipendiés du docteur nazi et de sa folie, qui poursuit sur place, auprès d’Indiens mal en point d’une réserve locale, ses expériences criminelles.

Avec les enfants, le docteur était toujours d’une gentillesse déroutante.
Mais une fois ces innocentes créatures anesthésiées, le gentil monsieur avec son sac de friandises disparaissait pour laisser place au savant froid et impartial qui ne pouvait se permettre aucune pitié dans sa quête de la vérité. C’est du moins ainsi que le docteur aimait à se considérer, pendant qu’il préparait ses instruments pour disséquer vivants ces enfants mal nourris qu’il avait attachés à sa table. Le point crucial de l’expérience consistait à pratiquer la dissection sur des enfants qui respiraient toujours ; en effet, il avait la ferme détermination d’étudier toutes leurs réactions, en particulier leur résistance à l’ablation d’organes vitaux avant le choc de la mort effective.
Ensuite, il mesurait avec soin le pancréas, le foie, la rate, les poumons, le cœur, le cerveau, les pesait, prenait l’index crânien et comparait les deux jumeaux non seulement entre eux, mais aussi avec toute une liste qui était le résultat de ses années de recherches dans les forêts du Paraná. Ses dossiers étaient impressionnants, classés selon l’âge, la taille, le poids et même la tribu.
C’était avec ces chiffres et ces données, compilés sur plus de vingt ans, qu’il comptait achever son œuvre monumentale. Il savait qu’une fois publiée, on reconnaîtrait sa haute valeur scientifique et que l’histoire le disculperait totalement de toutes ces accusations monstrueuses.
Quand il avait terminé ses expériences, Horst et Ludo rassemblaient les restes et allaient les enterrer à quelques dizaines de mètres dans une clairière. On mettait les organes vitaux dans du formol et on les plaçait dans des bocaux qui encombraient le laboratoire. Il est impossible de savoir exactement combien d’enfants étaient enterrés, dans la clairière : il suffit de savoir que le docteur habitait la zone 540 depuis plus de douze ans et qu’il avait entrepris une recherche systématique qui n’avait connu aucune interruption depuis son installation.

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En dehors des scènes d’action et d' »espionnage », qu’il maîtrise à la perfection, Herbert Lieberman réussit dans ce court roman à haute densité (qui nous rappelle aussi, au passage, le caractère légèrement superflu quoiqu’efficace de la beaucoup plus récente « Disparition de Josef Mengele » de Jérôme Guez) à nous faire partager, d’une manière réellement angoissante in fine, l’absence totale de scrupules et de remords du médecin nazi et de sa clique mesquine, cruelle et nostalgique, le cynisme des complices que lui garantit l’argent abondant dont il dispose, et la relative impavidité de gouvernements dictatoriaux estimant avoir bien peu de comptes à rendre à qui que ce soit – état de fait qui dépasse largement hélas la seule traque des criminels du troisième Reich, ce que Herbert Lieberman nous rappelait ainsi subrepticement, à un moment où les juntes sud-américaines exécutaient leurs opposants sans même les compter, sous couvert de son thriller historique glaçant.

Le Mossad connaissait bien Asher. Il avait été un de ses agents au début des années soixante-dix, dans une période particulièrement agitée. Mais on n’allait pas tarder à découvrir que les talents d’Asher, aussi grands qu’ils aient été, ne pouvaient lui permettre de devenir un agent scrupuleux et discipliné. Sa dépression nerveuse à la suite de la guerre de 73 fut le coup de grâce pour sa carrière d’officier des renseignements. Son évasion de l’hôpital et ses activités « sauvages » le firent passer pour quelqu’un de particulièrement dangereux, tout spécialement à cause du fait qu’il continuait à se faire passer pour un agent du Mossad.
Mais, en vertu de la nature particulière des organisations de contre-espionnage où les agents vivent en cercle fermé mais demeurent très loyaux les uns par rapport aux autres, l’agence ne put se résoudre à prendre des mesures draconiennes à l’encontre d’un camarade dans l’erreur. Le père d’Asher avait été l’ami intime de plus d’un officiel du Mossad ; après tout, c’était un héros de l’Irgoun. Ils avaient renvoyé son fils à contrecœur. On pouvait difficilement leur demander de le mettre au pas. Si ses activités se déroulaient à l’extérieur du pays et n’entraient pas en contradiction avec les actions menées par l’agence, ils avaient décidé de ne pas intervenir. Les anciens criminels de guerre n’étaient plus, depuis longtemps, sur la liste des priorités gouvernementales. Si c’était ce qu’Asher voulait faire, après tout, cela leur était égal. Pendant ce temps, il ne risquait pas de se mettre dans leurs jambes. Tacitement, ils avaient même décidé de financer certaines de ses opérations et de détourner pudiquement les yeux si un agent actif du Mossad, tel que Dovia Safid, devait lui prêter main-forte dans une de ses opérations illicites. C’est toujours un peu de cette façon qu’on fonctionne dans le milieu de l’espionnage. Il n’est pas question de se demander où est la morale dans tout ceci. Il n’y en a pas.

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