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Notes de lecture 2018

Note de lecture : « La maison » (Nicolas Jaillet)

Une redoutable et brève fable de la détermination face au spectre de la violence domestique – et de la mémoire aussi.

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Il y a des souvenirs imaginaires. Nous en avons tous ; parfois sans le savoir. Des images que nous gardons gravées dans notre esprit. Par leur précision, elles dépassent souvent nos vrais souvenirs.
Et pourtant, ces souvenirs-là sont faux.
Ces scènes que nous avons en tête, nous ne les avons jamais vues. Par exemple, je possède une image mentale de mon grand-père Charles, debout dans le jardin de mes parents. Je le vois. C’est l’été. Un soleil oblique étire l’ombre de la haie sur ses pieds, tandis que son visage est baigné de soleil. Il rit, parce qu’on m’a toujours dit que mon grand-père était un homme gai. Je suis sûr que c’est lui. Je suis sûr de l’avoir vu, là, dans ce jardin. Pourtant, c’est impossible. Ce jardin, c’est celui d’une maison que mes parents ont habitée à la fin de ma première année. Et mon grand-père est mort deux jours avant ma naissance.

Ce court roman, le quatrième de l’auteur-compositeur et écrivain Nicolas Jaillet, joue avec les mémoires de son narrateur et avec nos nerfs de lecteur. À travers la reconstruction imaginée d’un passé d’enfant et d’adolescent ayant vécu une histoire familiale très particulière, reconstruction qui se verra ou non confirmer in fine, l’auteur traite avec une grande délicatesse – et avec une imagination ma foi plutôt retorse – des réactions envisageables face à la possibilité de la violence conjugale ou domestique, et construit une fable contemporaine acérée à propos de détermination inébranlable et de suite dans les idées.

Je sais que je ne peux pas avoir assisté à cette scène, car je n’ai pas encore d’yeux. Je ne suis qu’un début de vie dans le ventre de cette jeune femme. Je suis, en grande partie, la cause de la robe blanche et du bouquet. Et de l’ivresse excessive des deux hommes.
Je sais pourtant que cette scène a eu lieu. j’en ressens les moindres détails. Je sais par exemple qu’à cet instant, une autre graine est en train de germer dans le ventre de ma mère. Une graine qui lui permettra de tenir ; de résister à la vie qui l’attend.
Cette graine, c’est sa décision.

Publié en 2013 chez Rue du Départ et réédité en 2016 dans la collection Milady Thriller de Bragelonne (où l’on trouve désormais aussi l’excellent « La France tranquille » d’Olivier Bordaçarre), l’ouvrage est complété par deux nouvelles, « La robe » et « La bague », qui éclairent avec ruse deux autres angles morts de la relation conjugale, en bonheur ou en malheur. Avec son clin d’œil potentiel du côté de « La sorcière » de Marie Ndiaye, dont cette « Maison » déjouerait les pièges fantastiques ou doucereux, ce court roman est une parfaite introduction au travail littéraire de Nicolas Jaillet, que l’on aura grand plaisir à retrouver à la librairie Charybde (129 rue de Charenton 75012 Paris) pour une rencontre-concert, ce mercredi 27 juin à partir de 19 h 30.

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  1. Pingback: Les best-sellers 2018 de la librairie Charybde | Charybde 27 : le Blog - 2 janvier 2019

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