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Notes de lecture 2015

Note de lecture : « Hollywood Babylone » (Kenneth Anger)

Une collection de bavardages et de ragots au fond assez mièvres mystérieusement érigée en livre-culte.

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Hollywood Babylone

Publié sous une première version bien différente en 1959, directement en français par Jean-Jacques Pauvert, puis, dans une deuxième version en 1975 aux États-Unis (celle objet en 2013 de la présente traduction par Gwilym Tonnerre, publiée chez Tristram), cet ouvrage du sulfureux cinéaste underground américain Kenneth Anger m’a largement déçu, surtout à l’aune des nombreux commentaires flatteurs que j’en avais lu ou entendu précédemment.

Et Babylone resterait là des années, échouée tel un rêve gargantuesque au bord de Sunset Boulevard. Bien après l’échec du grand saut de Griffith dans l’inconnu, Intolérance, son Drame Solaire des Âges ; bien après que la cour de Balthazar eut été livrée aux mauvaises herbes, que ses murs eurent commencé à peler et à se gondoler dans le chaos du plateau de tournage abandonné ; après que les pompiers de Los Angeles l’eurent condamnée pour risque d’incendie, elle était encore là : la Babylone de Griffith, à la fois comme un reproche et un défi à la petite ville du cinéma en plein essor – quelque chose à surpasser, quelque chose à pardonner.

N’ayant jamais réellement caché son objectif de « coup » (relativement) lucratif (son film « Histoire d’O » de 1961 aurait largement été financé par l’avance reçue de Jean-Jacques Pauvert), Kenneth Anger accumule au long de ces 300 pages – dont plus de la moitié toutefois sont des illustrations photographiques, intéressantes ou même excellentes, mais rarement exclusives – les anecdotes sulfureuses, révélant tel ou tel aspect de la vie principalement sexuelle, mais aussi alcoolique ou droguée, des stars, tout en feignant de pourfendre, en continu, les grandes pourvoyeuses de ragots d’Hollywood que furent Louella Parsons et Hedda Hopper. Si certaines d’entre ces saynètes réputées osées peuvent avoir une valeur historique éventuelle, permettant de saisir (presque) « in vivo » l’ambivalence et l’hypocrisie de la machine à rêves américaine, il faut bien reconnaître que leur lecture contemporaine leur confère surtout une banalité frisant la mièvrerie par moments. Le scandale n’est certainement plus ce qu’il fut, et faute d’un réel effort de mise en perspective historique, critique ou politique, le soufflé apparaît un peu trop à mon goût pour ce qu’il est largement, en réalité : une collection de pseudo-révélations destinées à faire frémir le public (de l’époque !) en capitalisant sur l’aura underground / occultiste de Kenneth Anger lui-même.

Sunset_Blvd

Il est vrai qu’à l’époque où Hollywood devient la capitale mondiale du cinéma, les personnages douteux fondirent sur la ville en plein essor telles des nuées de phalènes attirées par la lumière des projecteurs. Gangsters à deux sous, contrebandiers, dealers, escrocs carnassiers, maîtres chanteurs, cambrioleurs, extorqueurs ostrogoths, toutes sortes de détraqués sexuels ultra-cochons, boursicoteurs de placements fictifs, hurluberlus sectaires, astrologues du dollar, médiums imposteurs et évangélistes épicènes, guérisseurs charlatans, voyants véreux et « psychanalystes » parasites. Tous s’agitaient, rapaces, aux abords du Cercle Enchanté. Des milliers de jeunes naïfs, en proie à la fascination de l’écran, se laissaient séduire par les promesses bidon d’ « écoles de la vocation » – une ruée vers l’or des dupes qui ne laissa sur le carreau que d’amères épaves. Les bonnes poires au joli visage, poches percées et bercées d’illusions, furent nombreuses à sombrer dans la prostitution.

Kenneth Anger

Photo: ® Pål Hansen/The Observer

J’ai jusqu’ici été très rarement déçu par les choix éditoriaux effectués par les excellents Tristram, il fallait donc que cela arrive au moins une fois. Si l’on note quelques fulgurances d’écriture dans ce « Hollywood Babylone », elles sont in fine bien rares en regard des récits souvent laborieux qui y figurent. Pour une vision critique de la mythologie hollywoodienne, on préfèrera avec bonheur le travail historique de Mike Davis (« City of Quartz », 1990) qui insère Hollywood dans son tissu social et économique, le roman de Steve Erickson (« Zeroville », 2007) qui en offre un décryptage mythologique infiniment plus poussé, la lumineuse parodie de James Lever (« Moi, Cheeta », 2008) qui en expose les dessous avec bien davantage d’humour et de subtilité et moins de fallacieux parfum de scandale surjoué, et surtout, on patientera encore quelques semaines pour se plonger dans le « Notre désir est sans remède » de Mathieu Larnaudie, à paraître chez Actes Sud en août 2015, qui propose avec une stupéfiante vigueur d’écriture l’explication poétique et critique de ce que signifia vraiment le « scandale » à Hollywood, autour de la figure de Frances Farmer (dont l’évocation constitue d’ailleurs, il faut le souligner, l’un des meilleurs moments du récit de Kenneth Anger).

Ma lecture est certainement partiale et partielle, mais je ne recommanderais donc pas ce texte pour un intérêt autre que, peut-être, l’histoire des mentalités (en essayant d’en abstraire les stéroïdes du « coup publicitaire »). Pour des lectures plus enthousiastes, celle de Laurent Rigoulet dans Télérama est ici, et celle d’Éric Neuhoff dans Le Figaro (qui a souri ?) est . François Forestier, dans l’Obs, ici, est en revanche encore plus sévère que moi.

Pour acheter néanmoins le livre chez Charybde – car plusieurs de nos amis hautement recommandables ne partagent pas mon avis -, c’est ici.

À propos de Hugues

Un lecteur, un libraire, entre autres.

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