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Notes de lecture 2022

Note de lecture : « Pop & Psy » (Jean-Victor Blanc)

Par un psychiatre praticien, un formidable parcours, alerte et pédagogique, de compréhension et de déstigmatisation des troubles psychiques, à travers la pop culture au sens large.

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Pop Psy

« I go through life like a Karate Kid », Britney Spears, For the Record, 2008.

« La psychiatrie établie a beau jeu de définir notre travail comme privé de sérieux et de respectabilité scientifiques. Ce jugement ne peut que nous flatter : il nous associe enfin au manque de sérieux et de respectabilité attribué depuis toujours au malade mental comme à tous les exclus. », Franco Basaglia, L’institution en négation, 1970.

Ce n’est évidemment pas par hasard que l’un des deux exergues de « Pop & Psy », le premier ouvrage publié, en 2019 chez Plon, du psychiatre hospitalier Jean-Victor Blanc, est celui de Franco Basaglia (1924-1980), le père du mouvement de la psychiatrie démocratique, qui constitua dans les années 1960-1970 un apport décisif, en Italie puis ailleurs, d’un changement radical dans la conception même de l’hôpital psychiatrique et du lien historique si puissant entre santé mentale et univers carcéral. En luttant puissamment contre la déshumanisation des patients qui fut si longtemps prédominante, il ouvrait la voie à une approche intégrative et soignante fondamentalement beaucoup plus proche de la nécessité d’humanité fraternelle face à l’immense majorité des troubles psychiatriques recensés. Dans la continuité, même indirecte, de ce travail fondateur, Jean-Victor Blanc offre une singulière mobilisation de la pop culture (au sens étendu, intégrant aussi bien les fictions du cinéma, des séries et du livre que les témoignages de personnalités emblématiques issues du star-system cinématographique ou musical) au service, comme l’indique le sous-titre de l’ouvrage (« Comment la pop culture nous aide à comprendre les troubles psychiques »), à la fois d’une meilleure compréhension des troubles psychiques par les personnes directement concernées et par leurs proches, mais aussi par le grand public, en direction à la fois d’une déstigmatisation accrue, d’une amélioration du regard de soi et des autres, et d’une augmentation des chances de mise en place d’un dispositif correct de soin et de soutien, en démontant au maximum les idées reçues (y compris, et c’est l’un des superbes paradoxes de l’ouvrage, celles véhiculées par la pop culture elle-même).

CALL ME BY YOUR DIAGNOSTIC
Pour les patients, la question du diagnostic est essentielle, car elle guide la prise en charge et le traitement. Elle permet aussi un soulagement, en attribuant la détresse et les symptômes à une cause extérieure, la maladie, et non à la personnalité propre du sujet. Enfin, elle est indispensable au processus d’appropriation du trouble dans une démarche de rétablissement. Pourtant, plusieurs problèmes liés aux diagnostics sont spécifiques à la psychiatrie.
Premièrement, beaucoup de noms de pathologies sont utilisés de manière impropre – et en général péjorative – comme « bipolaire », « schizophrène », « psychose », « autiste »… La personne à qui est annoncé un diagnostic peut prendre ces abus de langage pour argent comptant et les recevoir comme des insultes.
Deuxièmement, à la différence d’un infarctus cardiaque ou d’un diabète, il n’y a pas à ce jour d’examen complémentaire (radio, prise de sang…) permettant de certifier le diagnostic en psychiatrie. Cela jette un discrédit sur les patients lorsqu’ils sont confrontés à des personnes qui comprennent mal de quoi il s’agit. C’est la « triple » peine : en plus de la maladie, de sa stigmatisation, il leur est demandé de « prouver » que leur maladie n’est pas du « cinéma ». La diva aux cinq octaves, Mariah Carey, en a fait les frais lors de son coming out à propos du trouble bipolaire (voir chapitre 1, p. 31).
Les exemples de mésusage des diagnostics sont fréquents : un bon exemple se retrouve dans les critiques de cinéma. Ainsi, l’accueil du film Mommy (2014) de Xavier Dolan fut triomphal, mais il a également brillé par l’inventivité des diagnostics attribués au personnage de Steve. Quand Les Inrocks le voient « un peu psychotique », Libération le qualifie de « demi-givré », le Figaro d' »ado bipolaire », tandis que Elle, Première et le Nouvel Obs posent le diagnostic de TDAH (Trouble de l’attention avec Hyperactivité). Ce florilège est le reflet d’une connaissance imparfaite des troubles psychiatriques, mais aussi de l’ambivalence du film (voir « Mommy a tort : cinéma et psychiatrie », p. 26). Cette imprécision entretient l’idée que ces maladies sont interchangeables et que les psychiatres décident de l’un ou l’autre avec autant de subjectivité qu’un astrologue. C’est pour éviter cela que des outils standardisés, comme le DSM, ont vu le jour.

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Sous le signe de Britney Spears, des troubles non identifiés et de l’intense battage médiatique, Jean-Victor Blanc nous invite à un parcours salutaire, jalonné de mises au point techniques accessibles, de questions de vocabulaire et d’abus de langage et de démystifications, de la psychose maniaco-dépressive au trouble bipolaire, de la dépression « générale » (avec une superbe analyse du « Melancholia » de Lars von Trier, notamment) à la dépression spécifique du baby blues, du rôle des antidépresseurs à celui de l’électroconvulsivothérapie (les fameux électrochocs, au passé sulfureux et à l’aura cinématographique compromise), des troubles obsessionnels-compulsifs à la schizophrénie (en passant ainsi, d’un chapitre à l’autre, d’« Aviator » à « Black Swan »), des troubles du comportement alimentaire aux personnalités borderline, des addictions (auxquelles l’auteur psychiatre consacrera plus spécifiquement son ouvrage suivant, « Addicts », en octobre 2021) à l’érotomanie, des troubles de stress post-traumatique aux troubles plus spécifiques de l’adolescence : en concluant par un détour habilement paradoxal par les soins sous contrainte, Jean-Victor Blanc pose in fine des questions qui n’ont plus rien de « pop », une fois cette magnifique médiation effectuée, autour du statut actuel de la psychiatrie, des stigmatisations, des accompagnements et des rétablissements.

LA BIPOLARITÉ SUR GRAND ÉCRAN
Le trouble bipolaire exerce une fascination certaine. Sa présence depuis une dizaine d’années dans des films comme Happiness Therapy (2012) (voir p. 43), ou les séries à succès Homeland et Empire l’atteste. Les tableaux cliniques présentés dans ces fictions sont plutôt vraisemblables, et différenciés du « fou dangereux ». Cela le distingue des représentations plus négatives pour d’autres maladies psychiques comme la schizophrénie (voir chapitre 7, p. 115). Ensuite, si les symptômes des personnages servent l’intrigue à un moment donné, les trois exemples cités ci-dessus n’ont pas pour objet principal la santé mentale (respectivement une pure rom-com [comédie romantique], une série d’espionnage et un soap dans le milieu hip-hop américain). Cela permet probablement de toucher d’autres publics que les aficionados des films sur la psy. Une fois stabilisé, le trouble devient très périphérique dans l’histoire, ce qui est un message clé – et pourtant si mal connu -, qui est celui des possibilités de rétablissement (voir « A new day has come », p. 241). Dans la vie des patients également, le trouble bipolaire évolue par épisodes, entre lesquels les patients retrouvent une vie quasi vierge de symptômes.
Cet engouement audiovisuel accompagne donc une vertueuse déstigmatisation du trouble. Au point de devenir un véritable outil d’appropriation de la maladie pour les patients. Des films, des séries et des livres peuvent ainsi être intégrés dans les programmes de psychoéducation, dont l’augmentation des connaissances sur la maladie s’accompagne d’une diminution de l’auto-stigmatisation.
C’est à cette occasion que des patients, dans le service de psychiatrie où j’exerce, apportent parfois un bémol par rapport à la représentation du trouble bipolaire à l’écran. Il est vrai par exemple que les phases d’excitation sont particulièrement représentée – car très cinématographiques -, au détriment des dépressions, pourtant cliniquement plus fréquentes et invalidantes. Pour les patients, ces représentations positives, peuvent aussi leur permettre d’illustrer le trouble auprès de leurs proches.

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On avait déjà noté sur ce blog, à propos des magnifiques « Nous qui n’existons pas » (2018) et « L’année suspendue » (2021) de Mélanie Fazi, l’importance de trouver les moyens de faire partager auprès du plus grand nombre les difficultés réelles, concrètes et quotidiennes, auxquelles se heurtent les patientes et les patients exposés au trouble psychique, surtout sans doute lorsque, justement, les manifestations n’en sont pas suffisamment spectaculaires, sur eux ou sur leurs proches. En conduisant cette véritable enquête pédagogique autour des représentations dans et par la pop culture, Jean-Victor Blanc propose une démarche ô combien salutaire, ludique et rusée.

Et l’on peut noter que l’auteur sera présent plusieurs fois à Ground Control cet automne, dans le talk show de Darling Deluxe le mercredi 14 septembre, et naturellement dans le cadre du Festival Pop & Psy (7-9 octobre).

Comme invite régulièrement à le faire dans ses interventions le psychiatre Guillaume Fond, les patients atteints de schizophrénie peuvent par exemple être comparés à des sportifs de haut niveau. Leur vulnérabilité à un environnement toxique est en effet telle qu’ils doivent fournir beaucoup d’efforts afin d’éviter la rechute. Prendre un traitement tous les jours, aller régulièrement voir un psychiatre, éviter les drogues, essayer d’avoir la meilleure hygiène de vie possible afin d’éviter un déséquilibre nécessite effectivement une rigueur proche de ce qui est demandé à Serena Williams pour envoyer ses smashes à 200 kilomètres-heure. Valoriser leurs efforts comme dans cette métaphore permet une reconnaissance et une dynamique plus positives que craintes et reproches. La question de la visibilité est centrale. Pour cela, la pop culture pourrait contribuer à la lutte contre la stigmatisation du trouble psychique, comme elle a été, et continue d’être, une source d’inspiration dans la lutte contre d’autres discriminations.

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À propos de Hugues

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